mardi 24 décembre
Françoise Lapierre, 66 ans, fut l’une des premières femmes chirurgiens de France et chef du service de neuro-chirurgie du CHU de Poitiers de 1990 à 2008.
Ses souvenirs se figent dans une première volute de Gitane brune. Françoise Lapierre a passé sa vie à sauver celle des autres mais n’a jamais pu renier le risque de mettre la sienne en danger. “J’ai commencé à fumer très jeune, c’est le seul vice que je me reconnaisse.” Le chapitre est clos. Dans la lumière tamisée de son salon poitevin, elle tourne rapidement la page de l’auto-flagellation, passant à confesse sans détours. Le verbe est posé, soupesé, le regard rivé sur l’horizon. “Ma plus grande force fut la ténacité.”
Un demi-siècle durant, le Docteur Lapierre a dû soulever des montagnes pour imposer ses convictions. Celles d’une femme- chirurgien très tôt immergée dans un milieu de machos retors et qui ne dut qu’à une énorme force de caractère de ne jamais lâcher prise. “Au lieu d’écouter les mauvaises langues de l’époque, je les ai défiées”, sourit-elle, avant d’ajouter : “Comme disaient quelques affreux jojos qui voulaient se faire bien voir : lorsque les choses tournaient mal, c’était la faute des femmes. Même quand elles n’étaient pas là.”
Françoise remonte en hâte le cours de sa carrière. Jusqu’à la source de cet internat de chirurgie générale, décroché en 1967 à la barbe d’une nuée de fiers-à-bras misogynes. Elle évoque encore ces cinq années passées à l’hôpital Bretonneau de Tours comme chef de clinique. Puis cette contrainte de la spécialisation, imposée à l’aube des années 70. “En ce temps-là, la polyvalence était une chance. Il m’a pourtant fallu faire un choix.” Ce sera la neuro-chirurgie. “Dès lors, on m’a davantage prise au sérieux.” Les plus grands commencent à le reconnaître : la “petite” a de l’avenir. Françoise est même conviée à passer des concours de micro-chirurgie de haut niveau au laboratoire de l’Amphithéâtre des Hôpitaux de Paris, dirigé par un certain Pr Cabrol. “J’y ai fait de formidables rencontres”, relate-t-elle. La dissection de son imposante carrière dénude les contours d’une avancée cadencée. L’encéphalogramme de son existence a mis en lumière railleries et souffrances.
Mais c’est définitivement son amour de l’autre qui va servir sa destinée. Un amour qui la pousse à toucher à tout et à forer des pistes médicales encore mal explorées, comme la chirurgie médullaire ou celle du nerf périphérique. A enrichir son intérêt pour les pathologies infantiles. A dispenser son savoir et son humanité, dans la formation de jeunes médecins guinéens, au milieu des années 80. “En Guinée comme au Sénégal, où j’avais déjà effectué des missions(*), j’ai surtout appris à faire beaucoup avec peu”. Ce dénuement constituera le socle de sa quête, l’incitant à aller chercher sans cesse au plus profond de la nature humaine et de la recherche médicale. A Tours, en 1974, François Lapierre a succédé à Maurice Salles comme chef du service de neuro-chirurgie. C’est encore à la succession de ce même Maurice Salles, décédé quelques, mois plus tôt, qu’elle est appelée, au CHU de Poitiers, le 1er janvier 1990. Pendant dix-huit ans, jusqu’à sa retraite de 2008, elle pousse ses troupes à se sublimer, à “abjurer les compromissions”, à préférer le “dialogue au non-dit”, à l’aider à élargir le champ des activités de son service vers des arcanes aussi intimistes que la maladiede Parkinson, l’ostéosynthèse ou l’endoscopie intra-crânienne. “Je les ai boostés mais je pense avoir été toujours juste avec eux”, explique Françoise en évoquant tous ces jeunes qui apprirent à ses
côtés.
Sa deuxième cigarette réveille d‘un coup de vieilles blessures. La mort de son papa quandelle avait 10 ans. Ces patients “opérés alors qu’on les sait perdus.” Ces morts, aussi. Et cette chirurgie dont elle “a touché l’abîme de l’ignorance.” “On s’est trop longtemps convaincu de tout savoir, éructe-t-elle, mais on ne connaît qu’une partie infime du système nerveux central. On aurait dû faire un pont d‘or à la recherche, mais on a préféré la mettre sous l’éteignoir. Je compte sur les générations futures pour effacer ce gâchis.” Le divan familial a recueilli pendant une heure les confessions d’une grande dame. D’une des premières et des plus célèbres femmes chirurgiens de France. D’un grand coeur suintant d’humilité. Il la libère enfin. La belle Gitane brune a finalement su se montrer patiente…
(*) Depuis 1992, Françoise Lapierre effectue également des voyages réguliers au Vietnam, où elle collabore notamment au développement d’un diplôme interuniversitaire de neuro-chirurgie.
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