Thierry Renoux, la musique est son fil d'Ariane

Thierry Renoux. 54 ans. Aveugle de naissance. Fondu de musique. Pianiste de talent. A vécu quatorze ans aux Etats-Unis. Est revenu à Poitiers après le décès de son épouse Christine. A partagé le piano de Stevie Wonder. Signe particulier : doté de l’oreille absolue et d’une modestie à l’avenant.

Arnault Varanne

Le7.info

Le 22 mai, il se produira avec d’autres artistes sur la scène de La Hune, à Saint-Benoît. Au menu du concert caritatif : « Les chansons du temps qui passe ». 
Drôle de clin d’œil du destin. L’horloge égrène les secondes et les années à un tempo différent selon son état. « Moi, j’ai aujourd’hui l’impression que la vie recommence... », souffle Thierry Renoux. En 2016, le musicien poitevin, aveugle de naissance, a vu sa vie basculer après le décès de son épouse, foudroyée par un cancer du côlon. « Un truc épouvantable... On était aux Etats-Unis, je donnais des cours de piano, de chant, je jouais dans deux groupes. Bref, tout allait bien. Et mon monde s’est écroulé. Je suis revenu ici, sinon je serais mort. »


Christine était ses yeux et son cœur, son amour ultime. « Une femme extraordinaire. » « Parfois, j’avais des tournées qui m’emmenaient jusqu’à Detroit, prolonge celui qui a vécu à Eugene (Oregon) pendant quatorze ans. On traversait tous les Etats. Elle me décrivait les grands champs de maïs, les montagnes, les beautés du monde. Avec elle, j’avais l’impression d’y voir et ça me convenait. Avec son décès, la lumière s’est éteinte. » C’est Christine qui lui a permis de rencontrer Stevie Wonder en 2007, au détour d’un concert à Concord, en Californie. « On a suivi ses musiciens, son staff et je me suis retrouvé à ses côtés. Il m’a demandé si j’écrivais des trucs et m’a laissé sa place au piano. On a joué deux-trois morceaux ensemble. Et Stevie a conclu par un « This guy is huge (ce gars est énorme, ndlr) » ! Ma main a senti son parfum pendant des heures ! » 


Reprise en main

L’invitation à « venir le voir dans son studio de Los Angeles » n’a jamais été honorée. Parce que « c’est loin la Californie, hein ». Parce qu’aussi Thierry a dû gérer sa propre carrière professionnelle et artistique. Mais le créateur de « l’un des premiers forums de fans de Stevie » compte bien assister au concert de l’artiste américain, en juillet à Londres. Pas de doute, l’ancien consultant en accessibilité pour l’université de l’Oregon s’est « repris en main ». Il a « séché [ses] larmes », repris une activité professionnelle et retrouvé un peu de l’insouciance de son adolescence. Sa collection d’albums s’est, au passage, enrichie de manière spectaculaire. Comme avant. Comme lorsque gamin, il passait des heures à écouter du funk (The Whispers, Shalamar, Midnight Star) et de la soul, tandis que son frère allait jouer avec les voisins.

« Parfois, ça m’emm... de ne pas voir car j’aime bien la beauté des choses. »

Ah, l’enfance... Le fils de fonctionnaires de France Télécom l’a vécue entre des institutions spécialisées pour aveugles, à Paris, et son fief de Poitiers. Un week-end sur deux. Il a un temps voulu être prof d’histoire, puis juge... 
« J’ai très vite compris que je ne ferais rien de la musique, même si au fond de moi, je trouvais ça cool. Je n’avais pas d’illusion. » 
Et pourtant, le gamin développe un don qui se résume en deux mots : l’oreille absolue. A l’école maternelle, déjà, Thierry reproduit des morceaux « avec deux-trois doigts », juste en les écoutant une fois. Ses talents de pianiste sont à peine été entravés par « ce prof qui [l]’oblige à lire les notes en braille ». A quoi bon ? L’artiste en herbe surnage, sans la ramener. Un atavisme encore solidement ancré en lui. « J’ai toujours pensé que ce qui m’était donné devait être rendu. Je n’ai jamais été le musicien qui se la jouait pour draguer les filles. Je suis dans une optique de jouer pour faire plaisir aux gens, les amener à se détendre, comme une thérapie. »

Modestie

En Angleterre ou à Eugene, à Poitiers comme à Paris, Thierry Renoux brille par sa modestie, son introversion. La peur du succès ? « Je n’ai pas envie de laisser de trace dans l’histoire, ça ne sert à rien. Une chanson, tu la craches et c’est fini. » Heureusement, la scène -il accompagne régulièrement son ami Patrick Jean- et YouTube permettent de découvrir un échantillon de son champ d’expression, du chant à la batterie en passant par le piano et le synthétiseur. « Thierry from Oregon » (signé Stevie Wonder) se nourrit aussi de géopolitique, des livres de Zola ou Flaubert, ou encore de ses rencontres avec d’autres personnes handicapées.

Bientôt, c’est sûr, il aménagera un studio dans son pavillon de Biard. Là où tout a (re)commencé. Là où il se projette enfin, se laisse aller à « improviser pendant des heures au piano ». Tout cela sous le regard de Christine, dont la photo encadrée trône en bonne place sur le buffet de la salle à manger. Pour rien au monde, il changerait une ligne de son passé. Quoique, à la réflexion... « Parfois, ça m’emm... de ne pas voir car j’aime bien la beauté des choses. J’aurais bien aimé voir les oiseaux dans les arbres, la grâce des chats, la mer, les étoiles, l’horizon. »

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