Alexandra Philippe ou l’art de s’affranchir

Alexandra Philippe, 43 ans. Née à Moscou, photographe et créatrice de robes en papier. A échappé à un destin tout tracé. De Moscou à Poitiers, en passant par New York et Paris, impose son esthétique et aspire à un monde apaisé.

Pierre Bujeau

Le7.info

Dans l’imaginaire collectif, le citoyen russe est perçu comme austère, peu souriant. Alexandra Philippe en est l’antithèse même. Tout au long de ses jeunes années et jusqu’à aujourd’hui, la Moscovite a cultivé son ouverture sur le monde à travers la photographie et la couture papier. De Moscou à New York, en passant par Paris, puis Poitiers où elle a posé ses valises, chaque étape de son parcours a été guidée par une insatiable soif de découverte. Fière de ses origines, Alexandra est tout aussi fière de s’être affranchie d’un destin tracé. Dans son pays natal, le modèle familial laisse peu de place aux ambitions des femmes : mariée à 20 ans, mère à 25, telle était la voie attendue. Impensable pour la fille d’ingénieur. Sa trajectoire a basculé quelques années plus tard. Difficile d’échapper aux lumières de Paris lorsque l’on évolue dans le monde de la mode. Place Vendôme, janvier 2010. Les robes en papier d’Alexandra sont repérées par la prestigieuse maison de joaillerie Chaumet. Son travail séduit la presse spécialisée et les grandes maisons parisiennes, autant la finesse de ses clichés que l’audace de ses créations. Vogue, Marie Claire, Elle... Les couvertures s’enchaînent.

URSS et photographie

Russie, début des années 90. Alexandra se rappelle de sa jeunesse insouciante, à arpenter les rues de la capitale avec ses amies. Sans téléphone, ni Internet, la gamine ne prend pas la pleine mesure du contexte géopolitique. Entre censure du gouvernement et propagande anti-occidentale, la jeune femme trouve son refuge dans le trait du crayon qui esquisse des mondes imaginaires et dans le papier qu’elle plie et façonne. Une matière qui la suivra toute sa vie… Éveillée à l’art par son paternel, elle fréquente chaque week-end avec lui les galeries, musées et ateliers. Là, dans ce foisonnement créatif, elle apprivoise sa timidité. « C'est plus facile d’entamer une conversation lorsque l’on partage un regard, une émotion. » Pas étonnant, dès lors, de retrouver l’adolescente, quelques années plus tard, diplômée de la prestigieuse Ecole d'art de Moscou. Mais déjà, son regard porte plus loin. La Pologne, la Turquie, l’Italie… Chaque voyage, chaque frontière franchie lui souffle une certitude :
elle ne restera pas en Russie. 


« Je ne savais pas qu’un autre monde était possible. »

« Je ne savais pas qu’un autre monde était possible. Mon premier voyage en Turquie a été une révélation. Là-bas, je parlais à tout le monde, en anglais, sans peur. J’étais une autre personne. » 
Les années s'égrènent et son rêve de quitter le pays s’étiole. Refusée dans plusieurs écoles d’art, elle se résigne et travaille quatre ans dans une agence de graphisme. Jusqu’à cette soirée où tout bascule. Un collègue pose sur la table un Canon Mark II. Un simple appareil photo. Mais pour Alexandra, c’est une clé, une échappatoire. La photographie devient une obsession. Nuit et jour, elle capture les rues de Moscou, les visages, la lumière. Puis les cosmétiques, le détail d’une ombre sur un flacon, la courbe d’un rouge à lèvres. Elle a alors 24 ans, l’URSS s’effondre et les barrières autrefois érigées avec l’extérieur tombent une à une. La jeunesse russe découvre les codes d’un nouveau monde. Films américains, magazines de mode, la vague occidentale déferle sur la société russe. 


De l’ombre à la lumière

L’Officiel, Cosmopolitan, Elle. Une révolution. « J'imitais les photos de cosmétiques pour me faire la main. » Son travail est remarqué et son portfolio circule entre les mains de grands directeurs artistiques, jusqu’à un contrat qui assied sa réputation. « Une marque d’eau minérale a fait appel à mes services. Ma photo s’affichait en grand dans les centres commerciaux du pays. » Elle touche enfin son rêve. Mais c’est un autre de ses talents qui la révèle au public international. De toutes les matières, c’est bien le papier qu’elle préfère. La conception de robes reste son exutoire. Elle publie ses créations sur Instagram. L’Officiel est séduit, la couverture est distribuée dans le monde entier. Tout s’enchaîne, vite, très vite. Un certain Guillaume Philippe la contacte pour habiller douze modèles lors d’un défilé Chaumet place Vendôme à Paris. Le stress est à la hauteur du succès. Portée par l’accomplissement, Alexandra s’envole pour New York, les bagages presque vides, mais la tête pleine d’ambitions. Collaborations avec Natalia Vodianova, Winney Harlow, Dior… La trentenaire détonne avec ses photos uniques. Mais l’amour la rattrape : Guillaume Philippe l'a convaincue de s’installer à Paris. Ils se marieront six mois plus tard avant d'élire domicile à Poitiers. Désormais, elle réduit ses projets et profite de sa famille. L’équilibre trouvé, elle ne désire plus qu’une chose : retrouver la paix. 
« Depuis le début de la guerre, le regard sur les Russes a changé, déplore-t-elle. Je n’adhère pas à la politique de mon pays. Pour certains, ce n’est pas toujours facile à comprendre. » Un jour, elle l’espère, ses parents verront enfin leur petit-fils. D’ici là, elle crée des robes et entretient l'espoir de revoir son pays.

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