Pauline Poinot, chercheuse au pluriel

Pauline Poinot. 41 ans. Enseignante-chercheuse à l’Institut de chimie des milieux et matériaux (IC2MP) de Poitiers. Lauréate récente du Prix Ruban rose avenir 2024 pour ses travaux innovants sur le dépistage précoce du cancer du sein. Mère de famille. Signe particulier : n’aime pas les stéréotypes.

Arnault Varanne

Le7.info

Elle dit « nous » plutôt que « je » « parce qu’on ne fait jamais rien seul ». Et pourtant, c’est sur elle que les projecteurs sont braqués depuis la mi-janvier et la remise du Prix Ruban rose avenir, à Paris, pour ses travaux sur la Volatolomique induite. Derrière ce terme « un peu barbare » se niche la promesse d’une meilleure détection du cancer du sein. Explications en 180 secondes de la maîtresse de conférences à l’Institut de chimie des milieux et des matériaux (IC2MP) : « L’idée est de passer une molécule sonde dans le système sanguin de l’individu. S’il a une tumeur, cette sonde va se transformer en odeur. » Demain, un « simple » 
prélèvement sanguin pourra peut-être déceler un cancer et, mieux encore, mesurer l’efficacité d’un traitement. « Une femme sur deux éligible à une mammographie ne réalise pas l’examen pour diverses raisons... », 
rappelle Pauline Poinot.

L’enseignante-chercheuse de l’équipe E-Bicom parle de « sororité », tout simplement. Dans un monde où tout s’accélère, elle prône « l’indispensable temps long de la recherche », elle qui a réalisé son post-doctorat en chimie des arômes et odeurs il y a quinze ans. « On travaille pour changer la société, que les gens vivent mieux ! » Sa mère et l’une de ses amies « du même âge qu’[elle] » ont hélas été confrontées au cancer du sein. L’une a survécu, l’autre est décédée. Sa motivation, immense, en découle, comme un défi, même si la mère de famille (un garçon de 11 ans, une fille de 8) a tâtonné pour s’orienter après un bac mention très bien.

Rêve en grand

Hôtesse de l’air, océanographe, astronaute, vétérinaire, météorologue... Pauline a rêvé en grand, mue par une « liberté de choix totale ». « Enfin, j’ai aussi voulu être comptable ! », ajoute avec malice la fille d’enseignante et de dessinateur industriel dans une entreprise de fabrication de nacelles aéroportuaires. Ses notes brillantes l’ont poussée -sans entrain aucun- vers une prépa physique-chimie à Camille-Guérin, à Poitiers. Mais l’expérience a tourné court, « environ deux semaines ». « Première partout », 
l’ado de « la classe moyenne » 
aurait difficilement vécu de 
« se ramasser des 4/20 toutes les semaines » et, au-delà, de « s’enfermer dans des schémas intellectuels et des carcans ». Alors la fac de biologie voisine a emporté ses suffrages. Poitiers, Nantes, Caen, Paris, puis Poitiers. La recherche a été synonyme de voyages et de découvertes ! 


« J’espère 
que l’IA n’aura pas conscience d’avoir conscience comme nous. »

Du plus loin qu’elle se souvienne, Pauline Poinot a « toujours lutté contre les stéréotypes », 
avec un côté iconoclaste. « Pas féministe au sens où les femmes doivent écraser les hommes », 
la chercheuse se désole du retour de Trump et de la masculinité triomphante. Elle dénonce plus près de nous les restrictions budgétaires drastiques dans la recherche publique. 
« Comment en est-on arrivé là ? 
Je ne comprends pas les politiques qui ne prennent pas l’avenir en considération... » Sans envier les pays anglo-saxons 
« où le système fonctionne avec beaucoup d’emplois précaires ». 
Si elle avait été sollicitée par une université étrangère, elle aurait refusé catégoriquement, encore une fois plus soucieuse du « nous » que du « je ». « Je ne crois pas aux chercheurs ou artistes prodiges ! »


« Nulle en conflits »

La révolution qui s’amorce autour de l’intelligence artificielle la laisse perplexe. « D’un côté, une IA qui synthétise des milliers de molécules avec des résultats plus robustes, c’est formidable. De l’autre, ça ne doit pas remplacer l’humain. J’espère que l’IA n’aura pas conscience d’avoir conscience comme nous. » Sa conscience à elle la pousse à être « peureuse de tout » et « nulle en conflits », 
mais aussi à « beaucoup rire » et faire preuve d’un
maximum de « bienveillance ». 
Des qualités, des défauts, la vie quoi ! Le tout est saupoudré d’une boulimie de lecture -Le Comte de Monte-Cristo, Beigbeder, Nothomb-, de pas mal de sport (natation, course à pied, danse) et d’un zeste de moments familiaux. Au moins son temps libre n’est-il plus pollué par les réseaux sociaux. Pauline a « tout bazardé » au moment de la dernière élection présidentielle. « Trop de clashs et pas assez d’idées. J’ai tout essayé, même TikTok pour comprendre mes étudiants. Mais c’était trop... » A la fureur et au bruit des réseaux sociaux, la chercheuse préfère de loin le parfum de la découverte collective en labo.

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