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Les ados ne décrochent pas seuls
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Il avait 13 ans. Modou Fata Touré se revoit, jeune fugueur tout juste débarqué à Dakar, les yeux rivés sur des feux tricolores. « Je ne connaissais pas la ville, j’étais perdu. Vert, rouge, vert… J’essayais de comprendre comment ça fonctionnait. » Il sourit de sa naïveté d’alors. Le temps a passé depuis ce premier jour du reste de sa vie. A l’époque, l’adolescent n’avait connu que les villages fondés par son grand-père, l’un en Gambie où il était né, l’autre au Sénégal où il avait grandi. Une enfance « sans adultes », avec des jouets faits de bric et de broc, en pneu, carton ou autre. En s’échappant de l’école coranique et de sa « méthode d’enseignement violente », Modou Fata Touré s’est écarté de la lignée paternelle composée de cultivateurs et de guides religieux connus et respectés.
Aujourd’hui âgé de 34 ans, il ne fuit plus. « Le cirque m’a sauvé », assure l’enseignant à l’Ecole nationale de cirque de Châtellerault, fondateur de la Cie SenCirk. Le petit-fils et fils de marabouts est donc devenu circassien. Enfin, pas tout de suite. Il a d’abord été « un enfant de la rue… même si la rue ne fait pas d’enfant ». Il sourit tristement. « Je nettoyais les bols des restos de rue et je mangeais les restes. J’allais me laver à la plage. Avec l’argent qu’on me donnait, il m’arrivait de faire un baby-foot, d’aller voir un film… » Modou a survécu ainsi « entre deux saisons des pluies » avant d’entendre parler de l’association Empire des enfants. Il a hésité. « Je n’avais plus envie de rester dans la rue mais j’avais aussi de l’orgueil », comme une petite voix qui lui chuchotait « [ton] nom de famille ne veut pas ça ». Et puis « j’avais l’habitude de gagner de l’argent, cette liberté-là me manquait ». La variété des activités proposées a eu raison de ses réticences. Modou est entré à l’Empire en 2004, sous un faux nom, pour n’en ressortir qu’en 2012. Capoeira, taekwondo, tennis de table, infographie, cours de français, d’anglais, de suédois, livres, jeux, télévision, Kirikou, Le Roi Lion… Le jeune garçon s’est abreuvé de tous ces possibles. « J’y ai aussi rencontré David Beckham (footballeur), Booba (rappeur), Boris Diaw (basketteur) ou encore Diam’s (chanteuse). »
« Le cirque est arrivé en 2006. » Il est venu de Suède avec la Cie Cirkus Cirkör. Une véritable révélation pour Modou. A leur retour l’année suivante, les artistes ont retrouvé un jeune garçon prêt à les suivre jusqu’en Scandinavie. Encore fallait-il avoir l’accord de ses parents. Le destin a fait que la route de Modou a croisé le chemin de l’un de ses cousins, qui a su convaincre sa mère -son père était décédé. Le jeune garçon a repris son vrai nom et, entre 2008 et 2010, commencé à explorer le cirque, discipline idéale pour « canaliser [son] énergie, maîtriser [ses] peurs et développer [sa] créativité ». A partir de 2010, il a créé sa propre compagnie et école de cirque, SenCirk, et multiplié les apprentissages, au Cirque du Soleil, en acroyoga, en funambulisme, en danse africaine… Il a aussi imaginé Soppi -le « changement » en wolof-, « un spectacle pour tourner la page » qui contenait déjà tous les ingrédients de son cirque, contemporain, social, largement sans frontières mais intimement sénégalais. Il a joué un peu partout, dans des ambassades et ailleurs, « en Guadeloupe, au Brésil, au Portugal, aux Pays-Bas, en Suède, en Allemagne, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Togo… » Et il s’est aussi retrouvé sous le feu des projecteurs de l’émission « La France a un incroyable talent », en 2023.
Un pousse-pousse café pour supporter des cannes d’équilibre, des noix de coco pour jongler… Pour Modou, le Sénégal n’est pas qu’une simple source d’inspiration, il irrigue son art. Autant attaché à ses racines qu’il se sent « citoyen du monde », il veut « créer des ponts », avec comme alliée indéfectible sa persévérance. « Je n’aime pas la facilité, j’ai la sensation qu’elle m’affaiblit, confie-t-il. Il faut que j’aille jusqu’à l’échec pour abandonner. »
A l’Ecole nationale de cirque de Châtellerault ou comme représentant de Clowns sans frontières et du collectif Clowns d’ailleurs et d’ici, Modou veut « rendre ce qu’on [lui] a donné ». Son cirque est politique au sens noble du terme, en témoignent ses créations. Il a interrogé le destin avec Man fan laa (« Moi où je suis ? ») en 2020, la quête d’identité à travers Ancrage en 2023. Son prochain spectacle mettra en scène deux hommes noirs et deux femmes blanches, « car ils ont en commun un combat contre la suprématie masculine, assène Modou. Le passé est dur, mais ce sont nos ancêtres qui l’ont fait. C’est à nous d’écrire la suite, de positiver notre héritage. » Le jeune circassien se projette ainsi dans la création « avant dix ans » d’une école de cirque sénégalaise, structurée, dotée d’un programme conventionnel et de diplômes reconnus. Car s’il n’est pas devenu guide spirituel, Moudou porte son patronyme comme un blason. Depuis toujours il l’oblige. Comme ses aînés, à sa façon, il veut ouvrir la voie.
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