Ludivine Gonthier, la fureur de peindre

Ludivine Gonthier. 27 ans. Peint sa vie au gré de ses joies et de ses peines, guidée par son seul instinct. A élu domicile au bord du Clain, dans un atelier troglodyte loin des tumultes de la vie parisienne. Signe particulier : ne passe pas une journée sans peindre.

Pierre Bujeau

Le7.info

Il est presque 18h quand le soleil se retire de la falaise, rue de la Croix-Rouge, à Poitiers, emportant avec lui les reflets éclatants des tableaux recouverts de laque. En pénétrant dans l’atelier troglodyte, impossible de ne pas lever les yeux tant l’espace impressionne. Sept mètres sous plafond, une hauteur majestueuse, presque théâtrale. Il fallait bien un tel volume pour accueillir la dernière œuvre de la maîtresse des lieux, une toile monumentale de 4x4m. Dans la vie comme dans son art, Ludivine Gonthier se dépeint comme une artiste à fleur de peau, guidée par une spontanéité désarmante, indifférente aux diktats de son art. Apposées aux murs de pierre brute, ses toiles révèlent une mosaïque d’émotions : 
ses passions, ses amitiés, ses souvenirs et ses rêves se mêlent sur fond de nature luxuriante. 
« Je n’aime pas vraiment définir mes œuvres. Je projette sur la toile des moments de vie avec comme seule boussole l’intuition. Ce sont les éléments picturaux et les gens qui alimentent ma toile plus que n'importe quel procédé stylistique », explique-t-elle, pinceau à la main. Pierre Courtot, peintre et compagnon de l’artiste, apporte un élément de réponse : « C’est l’idée de marqueur dans le temps. Chaque peinture correspond à une scène, à une heure précise. C’est un peu la BD de sa vie sur des toiles de 2x2m. »

L’école de la vie

Dans ce nouvel écrin, Ludivine retrouve le calme et la nature qui l’ont accompagnée durant son enfance à La Réunion. Originaire d’Orange, dans le Vaucluse, elle arrive sur l’île à l’âge de 10 ans, suivant ses parents. Sa mère, corsetière, souhaitait y retourner pour renouer avec l’endroit où elle avait grandi. Quel plus beau terrain de jeu pour s’initier à la photographie, au dessin et au street art ? « Grandir dans un si bel endroit, c’est un privilège. J’y ai beaucoup expérimenté, notamment le graffiti sur des murs entiers. » Très vite, cependant, le graffiti ne suffit plus à étancher sa soif de création, ni à satisfaire ses ambitions grandissantes. Et de l’ambition, Ludivine n’en manque pas. Tous les moyens sont bons pour assouvir son rêve : 
devenir peintre professionnelle. Sa détermination finit par convaincre ses parents de revenir en France, lui offrant ainsi la possibilité de tenter sa chance dans de prestigieuses écoles, avec en ligne de mire l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. « Faire un métier lambda n’était même pas envisageable. C’est à ce moment-là que la peinture est devenue une partie intégrante de ma vie. Je dormais peinture, je respirais peinture, je vivais peinture, pour toucher du doigt mon rêve. »

Durant son année de préparation aux écoles d’art, elle consacre dix heures par jour à son travail. La concurrence est rude… Chaque année, plus de mille candidats espèrent intégrer cette institution qui a vu passer les plus grands. Clin d'œil du destin, la seule école à avoir accepté son dossier est la prestigieuse Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. « C’était irréel, surtout pour quelqu’un comme moi qui ne viens pas de cet univers. En arrivant, j’ai rapidement compris que nous ne partions pas tous sur un pied d’égalité. Les codes sociaux de ce milieu, les contacts… On ne les acquiert pas sur une île comme La Réunion, à plus de 9 000km 
des galeries parisiennes », 
explique-t-elle. Dès ses débuts, Ludivine est frappée par le manque d’entraide et l’atmosphère de compétition permanente. Elle comprend vite qu’elle ne pourra compter que sur elle-même. 
« L’ambiance était très concurrentielle, presque comme dans une entreprise. Il fallait se forger un caractère, s’affirmer pour gravir les échelons, souvent aux dépens des autres. » S’ensuivent six années où joies et peines s'entremêlent, où les questionnements de la vie d’artiste flirtent avec les excès de la vie parisienne.

Nouvelle ville, 
nouvelle vie

Peu à peu, l’atmosphère intense et les sollicitations incessantes de la capitale finissent par la convaincre de prendre le large. 
« Paris était devenue étouffante. J’avais besoin de mon propre atelier, d’un lieu pour m’exprimer pleinement et redevenir moi-même. » C’est ainsi qu’elle découvre, presque par hasard, la sérénité d’une maison troglodyte à Poitiers, dénichée sur Leboncoin. Dans cet espace insolite et baigné de calme, son art trouve une nouvelle résonance. Ses tableaux tapent dans l'œil de curateurs, la propulsant d’exposition en exposition, jusqu’à son invitation à la Biennale de Lyon en septembre dernier. La directrice des Beaux-Arts et commissaire de la 17e édition a invité Ludivine à prendre part à cet événement prestigieux. « C’est merveilleux de voir comment elle réinvente l’autoportrait et la peinture », confie Alexia Fabre dans une interview à France Inter. De nombreuses sollicitations lui sont parvenues depuis. Après des années marquées par le doute, Ludivine touche enfin du bout de son pinceau au métier qui a toujours éclairé ses rêves.

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