Lire, c’est prendre le pouvoir

Le Regard de la semaine est signé Jean-Luc Terradillos.

Le7.info

Le7.info

Alberto Manguel a raison. C’est écrit sur le grand vitrage du CDI du lycée 
Victor-Hugo à Poitiers, qui porte son nom depuis 2008. L’écrivain vivait alors dans le Poitou et s’entretenait le samedi matin avec des lycéens. Lire, c’est d’abord prendre le pouvoir sur soi-même. Choisir de ne pas être soumis aux écrans même si l’on consulte, de temps en temps, un moteur de recherche pour trouver la localisation d’une ville ou le sens d’un mot. C’est prendre le temps, trois minutes ou une nuit, de ralentir le rythme, même si l’on est happé par une histoire qui nous bringuebale à des vitesses limites. Ne pas subir les images qui saturent l’environnement physique et numérique, pour, au contraire, créer des images mentales. Qu’importe le registre, fantastique ou banalement quotidien, une page lue et c’est parti ! Exercice de liberté : je lis ce que je veux, avec une échelle de valeur toute personnelle, les romans noirs de Franck Bouysse aussi bien que Michel Foucault ou Tout Robuchon. La force du texte résiste au temps. Don Quichotte croit combattre des géants en attaquant des moulins à vent, une scène ancrée dans notre imaginaire depuis quatre cents ans. Une page suffit à Cervantès pour nous faire vivre ce haut fait.

Quand il y a des dessins, on s’y retrouve et on les explore, on poursuit le voyage, comme dans les livres de Jules Verne. Chez les grands artistes comme Hugo Pratt, Robert Crumb, François Place, Nicole Claveloux ou Laureline Mattiussi, on n’a presque plus besoin de texte. La poésie est encore plus efficace. Quelques lignes et un monde s’ouvre. Un poème par jour, dose homéopathique pour entretenir la santé mentale. Avec une économie de mots, comme chez Antoine Emaz ou James Sacré. Et toutes les nuances offertes par la langue.

En France, il est facile de trouver le livre pouvant satisfaire notre état d’esprit du moment, du plus grave au plus farfelu, de la comptine à l’essai philosophique, du roman primé aux dernières nouvelles du ciel et de l’espace. « Lorsqu’il ferme son livre, le lecteur idéal sent que s’il ne l’avait pas lu, le monde serait plus pauvre », écrit Alberto Manguel dans son éloge du lecteur (Pinocchio & Robinson, L’Escampette éditions, 2005). Sachant que la « vraie lecture est interprétative, analytique, intellectuelle et émotionnelle, elle nous aide à affronter la bêtise croissante ». Tout ce que les régimes autoritaires ne supportent pas. Fin 2024, Alberto Manguel a appris que son livre où il fait d’Ulysse un réfugié pouilleux, dessiné par Max Bardin, venait d’être interdit en Turquie.

À lire aussi ...