Le colonialisme de gauche

Le Regard de la semaine est signé Sourabad Saïd Mohamed.

Le7.info

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Qui pourrait oublier ce fameux discours de Jules Ferry dans lequel il fait la promotion de la colonisation ? Cette colonisation qu’il définit comme un apport nécessaire, voire un devoir de la civilisation supérieure au peuple inférieur. Et pourtant, au vu de sa famille politique et de l’idéologie libérale au sens des origines du XVIIIe siècle, cette lecture ne va pas de soi. En effet, le plus radical et virulent d’entre eux, le philosophe Diderot, note ceci au sujet des explorateurs européens : 
« Arrivent-ils dans une région du monde qu’ils s’empressent de décréter que ces contrées leur appartiennent. » 
Et d’ajouter plus loin : « Vous vous arrogez sur l’homme votre semblable. Au lieu de reconnaître dans cet homme un frère, vous n’y voyez qu’un esclave, une bête de somme. » 
Cette critique virulente certes est très largement partagée dans les milieux intellectuels libéraux… Or, un siècle plus tard, on ne retrouve plus un seul penseur politique pour remettre en cause les empires européens coloniaux. Et le basculement est tel qu’un auteur comme Tocqueville (1805-1859), qui exprime des valeurs libérales, va s’écarter définitivement du scepticisme exprimé par les lumières sur cette aventure coloniale. Jusqu’à soutenir la colonisation de l’Algérie avec force, ceci en dépit de toutes les conséquences violentes que cela va engendrer. Pour ne s’en tenir qu’à John Stuart Mill (1806-1873), la radicalité du changement de position apparait énorme : 
« Le despotisme exercé par les Européens est un mode de gouvernement légitime quand il s’agit de traiter avec des barbares, dès lors que le but recherché est de les amener à progresser et que le moyen se trouve effectivement justifié en parvenant à cette fin. » C’est donc entendu que cette nouvelle configuration va aboutir à la conférence de Berlin par la répartition sans concertation des peuples autochtones, de l’Afrique. Les cartes rectilignes des pays africains en sont le témoin vivant.

En vérité, cette mutation de la pensée libérale, il faut aussi l’entendre comme un humaniste. C’est bien là le problème que doit traiter la gauche aussi, portée par des intellectuels dit libéraux et teintés d’un projet humaniste. C’est cette posture qui va en même temps créer ce débat à l’Assemblée nationale française entre Jules Ferry d’une part et les tenants de la non-colonisation, en la personne de Clemenceau par exemple, d’autre part. Il faut croire que les justifications de la bonne volonté des progressistes européens d’apporter la civilisation aux autochtones ne passent pas forcément. En vérité très rapidement, une alliance est faite entre l’Eglise, les libéraux progressistes et la bourgeoisie galopante. Nous en sommes aujourd’hui les héritiers. A nous de nous poser la question avec sérénité et distance pour entendre les errements de notre époque comme un écho de leur époque.

CV express
Diplômé de philosophie et de l’IAE de Poitiers. Je suis le président de l’Agence pour l’égalité. Passionné de rap et de littérature, je cultive la critique comme mode de vie et je suis très largement attaché au principe éthique de Spinoza. 

J’aime : les nouvelles générations et leur capacité d’inventer un monde bien meilleur que celui que nous leur laissons. 

J’aime pas : la situation d’inculture dans laquelle nos société semblent être plongées alors que l’accès à l’information et aux savoirs n’a jamais été aussi important.

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