Kouadio Guillaume Kouakou, la vie malgré tout

Kouadio Guillaume Kouakou. 19 ans. Technicien gaz en alternance chez GRDF, à Migné-Auxances. Né à Sassandra, un village du sud de la Côte d’Ivoire. A franchi l’océan Atlantique en 2021 en quête d’une vie meilleure. Raconte son histoire dans Le Rescapé de la traversée. Bluffant de maturité.

Arnault Varanne

Le7.info

C’est une histoire tout à la fois personnelle et universelle. Chaque année, l’immigration clandestine « charrie » des centaines de milliers de vies sur le Vieux Continent. Celle de Kouadio Guillaume Kouakou aurait pu s’arrêter au beau milieu de l’Atlantique nord, au large des côtes marocaines, fin 2021. Un Zodiac percé, quarante-six migrants à bord pour douze places, et trois jours d’une navigation aléatoire avec un « capitaine » et un 
« boussolier » aussi perdus que leurs compagnons d’infortune. Jusqu’à ce qu’un Salvamento -bateau de sauvetage de la marine espagnole- les récupère en pleine obscurité. « Tout le monde chantait Boza free, boza ce mot venu de dialectes d’Afrique de l’Ouest qui signifie victoire. Oui : victoire et liberté, nous avions gagné, nous étions arrivés en Europe. Mais, surtout, grâce à Dieu, nous n’étions pas morts, au contraire de milliers d’autres engloutis par la mer... »

Ainsi se termine le onzième chapitre du Rescapé de la traversée, une (presque) autobiographie signée des mains de Kouadio Guillaume dans laquelle le héros s’appelle Benjamin. A la table des confessions, le jeune Ivoirien raconte d’une voix timide son destin hors norme. Sa naissance à Sassandra, un village du sud de la Côte d’Ivoire, où « on se sent comme des sous-hommes », titre d’un article de nos confrères du Monde en date d’août 2021. Le cadet d’une fratrie de six a grandi « dans la pauvreté » avec des parents cultivateurs de cacao. Enfin, ce qu’il en restait... Il est allé « à l’école primaire », puis a suivi à l’adolescence l’un de ses grands frères dans son exil vers 
« une vie meilleure ». « Dans une grande ville ou ailleurs, les passeurs jouent beaucoup là-dessus en vous faisant croire qu’avec leur aide, vous pourrez avoir un avenir. »

Deux ans d’errance

Anicé (23 ans aujourd’hui) et Guillaume ont beaucoup bourlingué, au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie puis au Maroc, théâtre du « grand départ » vers « l’Eldorado ». Deux ans d’errance au cours desquels les deux frangins ont vécu d’expédients, de petits jobs alimentaires, pour survivre et payer le « voyage ». 
« J’ai aussi « tapé la Salam (mendié, ndlr) pour quelques 
dirhams », avance le jeune homme. Son frère l’a finalement « laissé partir » faute de pouvoir réunir les 350€ nécessaires à la traversée. Une « épreuve » bien avant de se confronter aux flux et aux reflux de l’océan. « Franchement, si on savait à l’avance comment ça se passe, on n’irait pas. Les passeurs omettent des détails... » 


« Aujourd’hui, en France, on peut se permettre de rêver. »

De Casablanca à Laâyoune, Kouadio Guillaume raconte le quotidien très précaire dans les « tranquilos » tenus par des 
« chamos », autrement dit des foyers pour candidats au départ, propriétés de passeurs. 
« Dans le premier « tranquilo », 
il y avait un matelas avec des affaires d’autres personnes. J’ai demandé à qui elles appartenaient. On m’a répondu à des jeunes dont le bateau s’est perdu. Ça a été un traumatisme, mais en même temps je ne pouvais pas reculer... » La suite du récit est du même acabit, tantôt saisissante, tantôt glaçante. Kouadio Guillaume a 
« atterri » à La Rochelle en mars 2022, « à 16 ans et 3 mois », débarqué d’un train sans billet et escorté par des policiers. Direction le foyer spécialisé L’Escale. Le début de sa (re)construction. 
« La France, ça représentait Paris la plus belle ville du monde, Victor Hugo... C’est un pays qui est décrit dans les livres d’histoire avec ses triomphes, ses endroits mythiques. Aujourd’hui, en France, on peut se permettre de rêver. »

« Amoureux 
de la lecture »

Rêver. Après avoir dormi 
« quelques fois sous les ponts à Paris », le jeune adulte a un toit au-dessus de la tête. Il a déjà décroché un CAP de plombier-chauffagiste « avec mention assez bien » au CFA de Lagord et poursuit sur un bac pro de technicien gaz entre Nantes et Migné-Auxances, siège de GRDF. « Amoureux de la lecture », 
Kouadio Guillaume Kouakou se réfugie dans les classiques de Camus, Hugo, Baudelaire et autre Rimbaud. Au point de se mettre lui-même à écrire pour témoigner. « Didier », professeur de français au sein de l’association rochelaise Parler français, 
l’a encouragé dans son initiative. « Je lui dois beaucoup... »Le Rescapé de la traversée vise plusieurs objectifs. D’abord 
« immortaliser [s]on vécu. C’est comme naître et mourir, ça n’arrive qu’une fois dans une vie. Et puis je veux prévenir les éventuels candidats à l’immigration en leur disant ce qui les attend, peut-être la mort dans le désert, en mer... Mon rêve, c’est que ce livre soit inscrit dans les programmes scolaires en Afrique. » 
C’est sûr, il écrira encore et encore, sur la foi religieuse, ses parents morts trop jeunes... avec comme objectif de sortir un livre tous les deux ans. En mémoire de son ami « Didi » et de dizaines de milliers d’autres migrants disparus trop tôt dans un silence souvent assourdissant.

Le Rescapé de la traversée, 
de Kouadio Guillaume Kouakou - 
Editions Librinova - 13,90€ - 
91 pages.

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