Ludovic Gicquel, l’homme qui murmure à l’oreille des ados

Ludovic Gicquel. 51 ans. Chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au centre hospitalier Henri-Laborit, à Poitiers. Fait référence à l’échelle nationale. Maritime de naissance, attaché à ses racines. Signe particulier : s’est promis de décrocher son CAP de pâtissier avant sa retraite.

Arnault Varanne

Le7.info

Il consulte au premier étage de la nouvelle Maison de l’enfant et de la famille, pile face à l’église Notre-Dame, à Poitiers. Et à deux pas de la plus « ancienne » Maison des adolescents accessible sans rendez-vous. Deux hauts lieux de la pédopsychiatrie dont la renommée va crescendo en France. « Je suis persuadé que le beau soigne, développe le Pr Ludovic Gicquel. Le message qu’on envoie aux patients, c’est qu’ils en valent la peine, qu’ils le méritent ! » « Indécrottable optimiste », le chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CH Laborit est « la tête qui dépasse », celui qui parle à l’oreille du Président de la République ou du Premier ministre, « impressionné » par sa dernière visite dans la Vienne. « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », s’empresse-t-il de préciser, soucieux du « travail collectif », d’« embarquer le plus d’acteurs possible ».

En dépit d’un nombre incalculable de missions (directeur de l’école d’orthophonie, membre de la Civise...), le natif de Rochefort continue de prendre le pouls de cette jeunesse « tourmentée », « sans faire le tri des patients ». Parce que « soigner étymologiquement veut dire se faire du souci », le clinicien s’attache à être en « syntonie émotionnelle » avec les enfants et ados qui franchissent la porte de son bureau. Il le sait mieux que quiconque, ils vont mal. « Un psy, c’est un peu une machine à laver, on y met les symptômes, les soucis, les souffrances... Et on est censé rendre la vie plus belle, plus propre, expurgée des toxines. Mais il faut avouer que le filtre est un peu encrassé. » Le suicide d’une adolescente début 2022, dans l’une des unités de l’hôpital, l’a « profondément affecté ». 


« Vol de jeunesse caractérisé »

« D’humeur assez égale », le quinquagénaire monte en revanche dans les tours à l’heure d’évoquer le rôle dévastateur des réseaux sociaux, où TikTokeurs, Youtubeurs et autres influenceurs règnent en maîtres. Ludovic Gicquel parle carrément de « vol de jeunesse caractérisé par abus de faiblesse développementale ». 
Tout l’inverse de son adolescence loin des écrans, passée à Ciré-d’Aunis à « jouer avec les veaux, faire des maisons en bottes de paille, manger les prunes dans les arbres... C’était fabuleux, un peu mon Disneyland ! » Le fils de restaurateurs et petit-fils d’agriculteurs n’occulte pas pour autant les week-ends à faire le service dans les banquets et mariages, et ses sept années d’échecs, le jeu. « Sans doute une façon de composer avec moi-même, de canaliser un certain nombre de choses. » 


« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

Avec ses yeux d’adulte, le professeur regarde son parcours avec un brin de tendresse et une certaine lucidité. « Pas très studieux » -il a redoublé plusieurs fois-, le minot n’aurait « jamais pu faire médecine avec Parcoursup ». Les fourches caudines de l’appli d’orientation d’aujourd’hui l’auraient immédiatement recalé. Comme quoi, les trajectoires se nourrissent de hauts mais aussi de bas. « C’est porteur d’espoir pour les gamins, n’est-ce pas ! » Le déclic ? « J’ai adoré mes cours d’anatomie avec Pierre Camina et plus tard ceux avec Daniel Marcelli. Un jour, je suis allé le voir en lui demandant ce qu’il fallait que je fasse pour suivre ses traces, enfin pour lui succéder en fait. » Onze ans et un clinicat à Paris plus tard, et voilà que l’élève a emboîté le pas à son maître à penser en 2011. L’anecdote le fait sourire et trahit une certaine ambition, celle de faire bouger les lignes, et une obsession, « le travail bien fait ».

La politique et lui

Lui qui « court après le temps » ne se voit pas vieillir et n’aspire au fond qu’à « être utile, être un bon père (trois enfants de 19, 
16 et 10 ans, ndlr) et un bon fils ». Ah, si, il s’est aussi promis de passer son CAP de pâtissier avant sa retraite en épicurien assumé. Le Poitevin d’adoption peut tomber en pâmoison devant le flan à la vanille bleue de Yann Couvreur, « les œuvres » de Philippe Continici et Nina Métayer. « La pâtisserie, martèle-t-il l’œil gourmand, c’est de la chimie appliquée. Et je suis assez admiratif des gens qui créent, passent des heures à élaborer une recette, se trompent, recommencent... » Toute ressemblance avec son domaine d’expertise n’est pas totalement fortuite. « Tenace et persévérant », l’enseignant-chercheur va en général au bout de ses idées. Il fait de la devise attribuée à Mark Twain -« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait »- son mantra. A l’aise face aux caméras et derrière un micro, il ne déteste pas la lumière. « Mais seulement quand c’est pour tenir une parole », jure-t-il. Suivra-t-il un jour les traces de sa mère Roselyne... maire des Eglises-d’Argenteuil ? « Il ne faut jamais dire jamais, mais ce n’est pas dans les tuyaux. » Ce qui l’est, en revanche, c’est la naissance, en 2027, d’un centre de psychiatrie périnatale et d’un Institut du collégien et du lycéen, à Saint-Benoît.

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