Benedicta Eichie, vivre coûte que coûte

Benedicta Eichie. 31 ans. Nigériane. Arrivée à Poitiers en 2016. Victime de la traite humaine, elle a conquis sa liberté par le travail et le théâtre. Maman forte et généreuse. Signe particulier : une irrépressible soif de vivre.

Claire Brugier

Le7.info

Elle est là, assise à l’ombre d’un arbre du parc de Blossac, sa précieuse Irissky blottie au creux de ses bras tandis qu’Harmony et Melody, ses deux aînés de 
7 et 4 ans, jouent un peu plus loin sous le regard bienveillant d’une amie. Benedicta Eichie sourit. Le chemin a été long. Ses papiers d’identité indiquent 31 ans mais la jeune Nigériane a déjà vécu plus que le commun des mortels ne pourrait en supporter. Pourtant, elle est là et elle sourit, paisible et déterminée. « Je sais que la vie me réserve beaucoup de choses, assène-t-elle. Elle m’a toujours enseigné des leçons qui ne s’achètent pas avec de l’argent, elle m’a appris à être courageuse et patiente car elle est imprévisible. » 


Quand elle est arrivée à la gare de Poitiers en 2016, Benedicta n’avait plus que sa soif de vivre. Ses yeux d’ébène perdus dans ses souvenirs, la trentenaire raconte le doux et le cruel, sans amertume. Aujourd’hui, elle ne craint plus de regarder son passé. Elle remonte jusqu’à son enfance au Nigéria, à Uromi, et se remémore les « bons moments avec [ses] frères et sœurs ». Huit enfants, elle est la deuxième, « la première fille ». Elle a 13 ans quand son oncle l’emmène à Warri, à plus de 200km, pour en faire sa « cuisinière, baby-sitter, femme de ménage… » Benedicta préfère taire ce que lui a fait cet homme « alcoolique et violent », en plus de la priver d’école, croyait-il. « Je suis devenue adulte d’un coup », 
résume-t-elle pudiquement. Elle survit ainsi pendant plus de trois ans, coupée de sa famille. Et puis un jour elle s’enfuit. « Je ne voulais plus supporter tout ça. »


Victime de la traite humaine

En cachette, Benedicta a fréquenté l’école, elle rêve de 
« devenir médecin » mais, faute de moyens, elle devient « serveuse dans un bar ». Et puis un jour elle se met à y croire. « Mes parents m’ont parlé d’un voyage en France. Là-bas je ferais des études tout en travaillant, raconte-t-elle. On m’a pris tous mes papiers et le 8 mars 2014, j’ai quitté le Nigeria pour la France. » Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes… Trois jours plus tard, elle pose un pied en Italie « chez une dame super gentille ». Pas pour longtemps. 
« Le 1er avril, le jour de mon anniversaire, la dame m’a demandé de me préparer pour aller travailler, elle m’a dit de me maquiller, ce que je n’avais jamais fait. » Dans la rue où elle l’emmène, elle voit les femmes en mini-jupe… Elle comprend enfin, veut appeler ses parents mais la dame menace de les tuer si elle ne rembourse pas son voyage. 
« Un homme m’a pris ma virginité pour 100€, les vierges rapportent davantage que les autres filles..., explique-t-elle froidement. Pendant un an et trois mois, j’ai connu l’enfer, je n’avais jamais de jours de repos, je devais travailler quand j’avais mes règles, s’il n’y avait pas beaucoup de clients la dame me frappait, j’avais droit à un seul repas par jour… Je ne me suis jamais plainte et j’ai fini par payer ma dette (ndlr, 50 000€). » 


« Pendant un an et trois mois, j’ai connu l’enfer »

Avec l’aide d’un garçon rencontré à la gare, Chris, elle s’enfuit une nouvelle fois. Santhià, Remini, Ravenne, Benedicta va où le vent la pousse, sans papiers et sans attache, au gré de rencontres dont la plupart ne font que l’abîmer davantage. Ménage ou cuisine, elle travaille sans compter. Chris devient son petit ami, elle tombe enceinte. Mais à l’occasion d’une fête, elle recroise la mère maquerelle. Une fois de plus, elle doit tout quitter. « Je crois que ce qui m’a tenue debout, c’est la souffrance que j’avais vécue chez mon oncle. Comme je n’en étais pas morte, je me disais que je n’allais pas mourir là. » Après trois jours dans la gare de Poitiers, sans boire ni manger, c’est une ambulance qui l’emmène, inanimée, vers le CHU. Benedicta devient une habituée du 115 jusqu’à son huitième mois de grossesse, puis elle obtient une chambre dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Sur les 210€ qu’elle reçoit pour vivre, elle en verse 100 « pour 
les études de [ses] sœurs ». « Je ne voulais pas qu’elles aient à connaître ce que j’avais vécu », glisse-t-elle. 


Le théâtre thérapie

Harmony naît le 26 novembre 2016. La dépression s’abat sur la jeune maman, qui est alors orientée vers l’association des Ami(e)s des femmes de la Libération. « Je me souviens, j’ai rencontré Emma (ndlr, Crews, aussi directrice artistique de la Cie A Corps commun) devant le bureau de tabac, rue Carnot. C’était en 2017. » Benedicta intègre le projet théâtral Mon corps, ma cage, elle apprend le français, obtient des papiers, emménage seule avec son fils et, « jamais fatiguée », 
se forme à la restauration, comme auxiliaire de vie aussi. 


Si le travail l’a fait tenir debout, le théâtre a été sa thérapie. 
« C’est quelque chose qui m’a construite, qui m’a appris à accepter mon histoire. » Elle joue actuellement dans Les Conversations du clitoris, une conférence gesticulée signée Emma Crews. « Benedicta, c’est l’inspiration de ma vie !, s’exclame la metteure en scène. Je ne peux pas m’arrêter grâce ou à cause d’elle. Elle a une telle force, elle arrive à détourner les choses pour leur donner plus d’intensité ! » 
La jeune Nigériane a conquis le droit de vivre. Pour le reste, « je laisse faire le destin », lâche-t-elle, résolument confiante.

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