Mary-Jeanne Mary, boulangère 
paysanne

Mary-Jeanne Mary. 43 ans. Native de Charente-Maritime. A transité par le Limousin avant d’atterrir à Bonneuil-Matours. Couturière pour des marques de luxe. A totalement changé de voie. Aujourd’hui boulangère paysanne. En accord avec elle-même.

Arnault Varanne

Le7.info

Scène de la vie ordinaire à Bonnes. Le marché de producteurs du mercredi connaît un joli succès. Ce jour-là, ils sont une dizaine à s’être établis en bord de Vienne. Des locaux. Dont une « petite nouvelle » -trois mois- en Fiat Scudo. Ernest, 
5 ans, l’accompagne et veille au grain. Elle, vend du pain. Et alors ? 
« Et alors, je vis la vie dont j’ai rêvé il y a cinq ans », répond Mary-Jeanne Mary du tac au tac. Terminée la condition de salariée. Les sept dernières années de sa première vie professionnelle, elle les a passées dans une manufacture de Châtellerault, 
« qui bosse pour Chanel ». Elle y officiait comme « monteuse modèle », en charge des petites séries et des pièces uniques, après des expériences de modéliste à Limoges puis Surgères. 


Perte de sens

Des robes jusqu’à 50 000€ pour les stars du monde entier, Nicole Kidman ou Penélope Cruz en tête, le job rêvé ? Jusque dans une certaine limite. Fin 2019, elle a « perdu le fil » de sa carrière autant que « le sens ». 
La mère de Charles (13 ans) et d’Ernest a pourtant adoré ce qu’elle faisait au quotidien, encouragée par une arrière-grand-mère couturière. « Ce qui m’a plu dans la haute couture, ce n’est pas le côté bling-bling, je déteste le logo d’une marque sur un vêtement, je ne suis pas du tout fashionista. Non, c’est le fait qu’on puisse travailler la matière comme au XIXe siècle. Et puis j’aime quand c’est compliqué, technique, exigeant, chiant même ! » La fille de médecin et d’infirmière à l’histoire familiale « pas simple » 
évoque au-delà l’artisanat comme un mouvement de 
« transformation du monde », escortée d’ascèse, de rigueur et d’un « côté méditatif ». Alors la gamine qui se rêvait... 
« menuisière » a tourné la page. Et cherché une autre voie d’épanouissement. Quel plus beau destin que d’embrasser la carrière de boulangère paysanne ? Boulangère, elle l’est, paysanne, « je le deviendrai ». Le tout par l’entremise de la ferme familiale. Son mari Rodolphe exploite 10 hectares de blé à Bonnes, au Berland exactement. « Le pain, reprend-elle, c’est nourrissant à tous les niveaux, il nourrit le corps, l’esprit, le réseau, le sens ! 
C’est comme une solution, modeste, à ce qui menace de nous arriver. » 


Jusqu’alors, la diplômée d’un CAP obtenu au campus des métiers de Saint-Benoît fabrique ses pains spéciaux -bientôt bio- au sein d’un laboratoire de Chauvigny. Mais dans quelques semaines, elle aura son fournil à domicile. Le Graal. Elle s’imagine de là observer la nature à travers son « immense baie vitrée ». Et peut-être aussi « un peu ralentir le rythme ». Car si « dire à ses enfants qu’on fait un métier 
concret » est un privilège, pouvoir leur « consacrer davantage de temps » constitue la deuxième étape de sa mue. « Leur dire 
« maman, elle se fait exploiter par Chanel », ce n’est pas du tout pareil ! », soupire-t-elle.

Perfectionniste


Celle qui porte un double prénom par accident -« à l’état civil, mes parents ont mis un trait d’union au lieu d’une virgule pour mon deuxième prénom »- 
veut désormais se faire un nom. Elle loue le bon accueil de ses collègues croisés sur sa route, notamment à Thuré. C’est sans doute dû à son amour immodéré du travail bien fait. Perfectionniste, Mary-Jeanne ? 
On a les défauts de ses qualités ! 
Quitte à « tamiser une seconde fois la farine et se rajouter deux heures de boulot ». Ses clients, appelés à se fournir le mardi soir « à la maison » à Bonneuil-Matours -sur commande- ou au marché Notre-Dame, à Poitiers, le samedi, semblent apprécier ses pains parfois (in)complets autant que ses crackers, son 
« best-seller », et davantage encore sa faconde.

Alors, si les planètes ne sont pas encore tout à fait alignées, la Maritime qui garde un faible pour le Limousin ne regrette pas sa reconversion dans le Poitou. 
« Je travaille seize heures par jour, mais je préfère de loin cette vie à passer sept heures sur une chaise en n’étant pas épanouie. » 
Après tout, la boulangerie offre aussi « un côté méditatif » et nécessite assurément une ascèse. Dans ses projections les plus folles, Mary-Jeanne imagine un jour organiser des ateliers « couture-pain ». On y discuterait de tout et de rien, on y créerait des liens entre voisins, l’air de rien. Des liens qui durent telle une robe fabriquée dans les règles de l’art. Nouvelle scène de la vie ordinaire. A suivre !

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