Hier
Le Regard de la semaine est signé Sarah Sauquet.
Après que mars a écopé ses eaux, avril s’empare de l’ébauchoir pour attaquer la glaise de nos incertitudes et sculpter l’amphore qui renferme le vin charpenté de nos printemps. À l’image de la première lettre de l’alphabet qui ouvre son bal, de ses consonnes qui vrillent et claquent avant le « l » et son envoi final, avril est le mois des espoirs, promesses et recommencements : il arrache les mauvaises herbes, transforme les rêves chargés et obsessions en bourgeons pointant hors du fourreau et enfin prêts à éclater, nous fait sortir du labyrinthe de l’hiver au volant d’une voiture-bélier. Il est la volonté énergique et impérieuse, puis la fécondité et la persévérance. Il est tous nos sens en éveil, la détermination farouche à vendre la peau du taureau avant de l’avoir tué, l’élan à affirmer que le printemps est bel et bien là et ne s’en ira jamais plus. En cela, avril est le mois de ce que les Italiens appellent la « bella figura », l’arrogance crâne. Sa boule de billard rebondit sur les bandes de mars, de mai et de juin pour remporter la bataille de la saison nouvelle.
Si avril m’est si cher, c’est qu’en posant ses fondations, il autorise et justifie la revendication de nos changements et métamorphoses survenus quand nos cœurs étaient en hiver. Je ne parle pas ici de reconversion ou de changement de vie en ce moment valorisés jusqu’à l’absurde -d’ailleurs, pourquoi faudrait-il nécessairement changer, quitter, partir, déchirer, biffer ?- mais de ces mues intimes et secrètes qui nous obligent à déposer armes et masques, faire le bilan des arrière-saisons pour accueillir nos vérités, et parfois réparer. « C’est la métamorphose. Un matin, on se lève et on comprend que dans le silence et la discrétion, on est devenu quelqu’un d’autre », écrit Virginie Despentes. Voilà le rendez-vous d’amour que j’ai chaque année avec le mois d’avril : accepter l’anamorphose et colmater les fissures avec l’or des rayons du soleil, comme si j’étais une céramique que la bise avait ébréchée. Le kitsungi devient ma colonne vertébrale, le Nord que ma boussole affolée finit par trouver. Tous ceux qui, comme moi, ne sont ni Taureaux ni Béliers, pénètrent avril et sa forêt d’émeraude avec l’expectative pour seul bagage. S’en extraire indemne et renforcé est la plus belle des victoires.
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