Conférencier et écrivain à succès, le serial entrepreneur John Rauscher est un expert internationalement reconnu de l’intelligence artificielle et de son impact sur l’entreprise.
Selon de nombreuses études, certains métiers, caissières, manutentionnaires, banquiers, experts-comptables et secrétaires en tête, seraient plus menacés que d’autres de disparition en cas de prise de pouvoir hégémonique de la machine sur l’homme. Croyez-vous en ces prophéties ?
« L’exemple que vous citez de l’expertise comptable m’interpelle, car je connais très bien cette profession. J’ai moi-même été, dans les années 80, l’un des premiers à proposer des logiciels de comptabilité destinés à faciliter la tâche des cabinets au quotidien. A l’époque déjà, l’apparition de ces « machines »
faisait craindre le pire sur le devenir de la profession et de ceux qui l’exerçaient. Quarante ans plus tard, on recense environ 40% de comptables en plus qu’à l’époque. Non seulement l’informatique n’a pas fait disparaître la profession, mais elle l’a considérablement aidée à se développer. En assouplissant l’organisation, en dopant la productivité et même, point crucial, en renforçant l’attractivité des métiers auprès des nouvelles générations, l’intelligence artificielle au sens large aide l’entreprise à grandir, la contraignant juste à se réinventer. »
« Un outil d’aide
à la décision »
Vous parlez d’attractivité. Une entreprise à la pointe de la technologie est-elle, selon vous, plus « vendeuse »,
notamment pour les nouvelles générations ?
« En matière de recrutement, l’IA peut effectivement être un outil d’aide à la décision, non seulement pour repérer les talents et affiner les choix des entreprises qui embauchent, mais également pour séduire les candidats à l’emploi : les nouvelles générations sont impatientes et ne veulent pas attendre des années avant de pouvoir effectuer des tâches nobles, et donc intéressantes, dans leur travail quotidien. L’IA, dans son rôle d’assistant, va collaborer avec les humains pour les aider à réaliser des tâches intellectuelles pour lesquelles ils n’ont pas toute l’expérience requise. Les entreprises qui mettront en place des outils d’IA qui « augmentent » leurs collaborateurs, les « tirent vers le haut », attireront et retiendront les talents. »
Quelles sont les erreurs que le monde entrepreneurial ne doit pas commettre pour éviter de laisser trop de place à la machine ?
« La première serait de croire tout ce qui se dit sur l’IA et de lui prêter des capacités qu’elle ne possède pas (encore) ! La seconde pour un dirigeant ? Vouloir à tout prix imposer les choix de la machine à ses collaborateurs. L’IA ne peut que suggérer des solutions pertinentes. Mais c’est à l’être humain de prendre la décision finale. Moi-même, je continue à croire que ni ordinateur, ni robot ne supplantera jamais le caractère essentiel des relations humaines. Les technologies d’intelligence artificielle disponibles aujourd’hui, dites « ANI », pour
« Artificial Narrow Intelligence »,
ne possèdent en effet ni bon sens, ni créativité, ni empathie. Elles ne peuvent donc pas remplacer un professionnel expert dans l’exercice de sa mission. En revanche, elles peuvent considérablement l’aider à être plus efficace. L’autre catégorie d’IA, l’« AGI », pour « Artificial General Intelligence », pourrait être disponible dans la deuxième partie de ce siècle et capable de changer la donne en devenant pluridisciplinaire. Comme notre cerveau. Ma conviction est que beaucoup d’entre nous ne verrons jamais cette époque. »