Deux mille enfants scolarisés seraient sans domicile fixe ou livrés à eux-mêmes en France, selon les observations de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité. Dans la Vienne, les associations, qui font face à un afflux de demandes d’hébergement, ne voient que la partie émergée de l’iceberg.
Chaque soir après l’école, Goderdzi, 8 ans, rentre « chez lui » : dans la voiture de ses parents. Rentré en CM2 cette année, il fréquente l’école Jules-Ferry de Poitiers depuis l’an dernier. « Il a honte de parler de sa situation avec ses camarades, se désole sa mère, qui ne parle que quelques mots de français. On ne peut pas étudier dans la rue. » Géorgiens, ses parents et lui sont venus en France en 2019. Passée par le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Poitiers et hébergée à quelques reprises par le 115 (numéro d’urgence pour les personnes sans domicile fixe), la famille a fini par acheter une voiture. Goderdzi confie sa « peur de dormir au 115 », évoque « les bagarres, le bruit. Je préfère rester dans la voiture ». Sans solution depuis un an, la famille est épuisée par les démarches. Elle vit avec 250€ par mois. « Soit on reste devant l’école, soit on va au Géant Casino, précise la mère. Il y a de quoi se laver là-bas. On achète des plats préparés... »
« Je dormais à la gare, en centre-ville, à la mosquée... »
Le cas de Goderdzi n’est pas isolé. Comme lui, 2 000 enfants scolarisés en France en 2023 vivent à la rue, selon le récent baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité. C’est 20% de plus qu’en 2022. Mais dans la Vienne comme ailleurs, « impossible de donner un chiffre exact, beaucoup ne viennent pas vers nous », note Chantal Bernard, co-présidente de l’association Min’de Rien qui héberge quarante-cinq mineurs isolés étrangers. A l’instar de Souleymane, 15 ans, qui vit chez l’habitant depuis quelques mois. Arrivé de Côte d’Ivoire à Poitiers en février 2023, il a passé trois semaines à la rue. « Je dormais à la gare, en centre-ville, près de la mosquée. Il n’y avait pas beaucoup de gens de mon âge, certains buvaient beaucoup d’alcool, c’était stressant… » Soulagé d’avoir un toit sur la tête, il a pu aborder plus sereinement sa rentrée en seconde au lycée Isaac-de-l’Etoile, à Poitiers. Il espère faire un BTS dans l’électricité ou le bâtiment.
Les associations débordées
Malgré la loi qui impose la protection des mineurs sur le sol français, beaucoup ne sont pas reconnus comme tel par les examinateurs. « C’est souvent une évaluation très subjective, déplore Chantal Bernard. On voudrait que la présomption de minorité puisse s’appliquer. Beaucoup arrivent traumatisés du voyage. Ils sont fragiles et influençables, des cibles parfaites pour les dealers. Lutter contre les enfants à la rue, c’est prévenir la délinquance. »
Les autres associations sont débordées par les demandes d’hébergement. A 100 pour 1, qui héberge des familles, les responsables s’en tiennent à vingt demandes. « On ne peut pas faire plus. Il nous faut 600€ par mois pour loger une famille et le nombre de dons a baissé », regrette Emmanuelle Devaux, la co-présidente. Même constat pour Thierry Millet, membre de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici, qui défend les droits des sans-papiers. « Aux Couronneries, des familles demandent aux écoles si elles peuvent dormir dans les locaux. Il y a aussi des directeurs qui nous signalent des enfants à la rue ». L’association militante dénonce l’inertie des pouvoirs publics vis-à-vis d’une situation « qui empire chaque année ».