Les affres de la désinformation

A l’heure où il devient difficile de débattre sereinement de sujets sociétaux, une co-création du média Vivant et d’une compagnie de théâtre-forum illustre les ressorts de la désinformation et ses conséquences, jusque dans notre sphère la plus intime.

Léa est serveuse, Mathias un jeune rappeur qui ne demande qu’à percer. Tous deux sont en phase avec leur époque, hyper-connectés, le smartphone toujours à portée de main. Sur les réseaux sociaux, ils s’abreuvent d’informations en vrac… Jusqu’au jour où ils tombent sur les publications des Passeurs de Lumière. Dénonçant un complot mondial qui viserait à contrôler les populations, cette mouvance va prendre de plus en plus de place dans leur vie et leur couple…


Un air de vérité est une histoire dans l’air du temps. Depuis près d’un an, le média poitevin Vivant et la compagnie rochelaise Théâtre du voyage intérieur travaillent sur cette pièce destinée à sensibiliser tous les publics aux enjeux de la désinformation et à son impact sur la vie quotidienne. « Elle raconte comment naît l’attraction vers un mouvement complotiste, explique Léa Dante, comédienne qui partage la scène avec le Poitevin Mathias Gourdeau. On s’est pas mal basé sur QAnon(*), sans le citer, pour illustrer la division au sein du cercle très proche. Actuellement, on est sur ces questions-là… »


Montrer les ressorts du complotisme

Cette création, encore en cours, s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets national baptisé « Renforcer l’esprit critique », pour la création d’outils innovants en matière d’éducation aux médias. « Le principal enjeu, c’est de mettre en scène les mécanismes de production, de circulation et de perception de la désinformation, développe Léa Dante. On s’appuie sur des choses documentées -les algorithmes, les bulles de filtres, les biais cognitifs- dans une trame fictionnelle. Dans le spectacle, on montre par exemple comment faire une recherche Google Images inversée. » Une astuce simple parmi d’autres pour pouvoir repérer le vrai du faux.


La Cie Théâtre du voyage intérieur est en résidence, toute la semaine, à Poitiers. Mercredi, sa pièce se verra remettre le prix académique du fonds Maif pour l’éducation, à Cobalt, et elle sera jouée la veille devant des élèves du lycée Nelson-Mandela. « Avec le théâtre, le slam et la vidéo, on les accroche tout de suite, on utilise les codes de leur génération », observe Hélène Bannier, responsable de la rédaction de Vivant. « Le sujet leur parle à fond », dit Léa Dante. La comédienne a elle-même beaucoup appris durant l’écriture, au contact des spécialistes de Vivant. « Ça a complètement changé mon rapport au temps. J’ai supprimé Facebook, je me suis abonné au Monde… J’ai l’impression que le rapport des jeunes à l’information se résume aux réseaux sociaux, c’est un vrai souci. L’information, c’est un socle commun qui nous permet de débattre et de faire société. Si les gens sont de plus en plus divisés, crispés par leurs réseaux sociaux, comment va-t-on pouvoir partager une même réalité ? » 


(*) QAnon est une nébuleuse conspirationniste qui réunit ses adeptes autour d’une thèse centrale : le gouvernement, les médias et les élites financières des Etats-Unis seraient contrôlés par un groupe de pédophiles adorateurs de Satan qui dirigerait une opération mondiale de trafic sexuel d’enfants.

DR - Annabelle Avril