Hier
« Le confinement a parfois provoqué un enfermement »
Catégories : Société, Santé, Covid-19 Date : mardi 01 septembre 2020Auteur de nombreux ouvrages de références, le sociologue poitevin Michel Billé appelle une nouvelle fois la société à changer de regard sur « les vieux », notamment dans la crise sanitaire que le pays affronte.
Michel Billé, quelles conséquences le confinement a-t-il eu sur les personnes âgées en Ehpad ?
« La période de confinement a évolué en trois étapes. D’abord le confinement implique qu’on ferme au sens strict du terme l’Ehpad. Cela paraît normal, il fallait protéger les personnes. Très vite, on est hélas passé à l’isolement, ce qui a constitué une rupture des relations sociales, amicales, familiales voire conjugales. Et cet isolement a provoqué de vrais troubles du comportement. Rester isolé dans sa chambre, c’est extrêmement difficile. Ça va 24 heures, mais au bout d’une semaine... Et à la fin, on a vu des situations de véritable enfermement. Je ne blâme pas les directeurs d’établissement, aucun ne prend plaisir à enfermer les résidents. Mais il faut voir que les personnels ont travaillé sans masque, sans préparation... Ce glissement est destructeur et a produit des états dépressifs dont les personnes ne se remettront pas. C’est là-dessus qu’il faut se mettre au travail si pareille pandémie se reproduisait. »
L’analyse est-elle différente pour les seniors restés à leur domicile ?
« Les interactions sociales ont été mieux protégées à domicile, même si certains ont pu « profiter » de la Covid-19 pour faire installer un digicode, une caméra. Jamais pour nuire, mais cela a pu conduire à des situations étranges. Reste que le fait de pouvoir sortir dans la rue, ne serait-ce que quelques minutes, a une valeur inestimable. »
Il y a eu aussi beaucoup de générosité vis-à-vis des seniors : courses faites par les voisins, envoi de cartes postales dans les Ehpad... Le confinement va-t-il changer le regard de la société ?
« Je crains fort qu’on oublie vite tout cela. Et pourtant, des citoyens ont ouvert leur porte et leur cœur. C’était magnifique et cela a permis à des gens de se sentir moins seuls. C’est l’isolement qui tue. »
« Vulnérables, pas forcément fragiles »
L’incertitude actuelle, avec un virus toujours actif, n’est-elle pas pire pour les personnes dites fragiles, invitées à se protéger, donc à rester chez elles ?
« Cela contribue à entretenir l’image de la vieillesse comme point de fragilité. Ne pouvait-on pas inventer un autre slogan que « Quand on aime ses proches, on ne s’approche pas trop » ? Les gestes de protection ne valent-ils mieux pas que les gestes barrières ? C’est vrai que les vieux sont plus vulnérables, mais pas forcément fragiles. Ne les blessons pas ! On peut construire un discours plus positif. »
En quoi la sémantique est-elle si essentielle pour évoquer le « grand âge » ?
« Comme le disait Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Les mots que j’utilise me font penser et, souvent, la pensée précède l’action. Un « placement » ne signifie pas la même chose qu’un « accueil » en établissement. »
La peur de son propre vieillissement peut-elle expliquer ce décalage de points de vue ?
« Plus ça va, plus nous avons tendance à considérer la vieillesse comme cette période de la vie qui nous rapproche de la mort. Nous devrions, au contraire, tout faire pour induire l’idée que la vieillesse est cette période de la vie qui nous sépare encore de la mort. On peut en faire quelque chose de formidable, malgré la maladie, le handicap, la perte de proches... Je dis aux vieux : ne vous taisez pas ! »
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