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De plus en plus de Poitevin(e)s portent un masque dans la rue, le bus, au supermarché... Recommandé ou obligatoire en fonction des situations, le port du masque engendre de fait une part de méfiance et de réelles difficultés de communication.
En tissu ou chirurgical, noir ou blanc, il voile une partie du visage de tous ceux qui le portent. En quelques semaines, le masque est devenu un accessoire indispensable, protection sanitaire et psychologique oblige. Aussi vertueux soit-il, le couvre-faciès comporte des effets (très) indésirables. Notamment dans les structures de petite enfance. « C’est déjà un frein entre adultes, alors avec des enfants... » Valérie Gustin-Moinier a eu quelques sueurs froides après la réouverture des crèches municipales. « Certains enfants étaient très fermés, un peu prostrés à cause du masque, témoigne la responsable petite enfance du CCAS de Poitiers. Après deux jours, ils ont retrouvé leurs repères, les professionnelles ont développé une gestuelle particulière, une attitude corporelle pour attirer le regard. Reste qu’il n’est pas toujours facile de savoir qui parle quand deux adultes sont masqués. »
Le masque, nouvelle barrière pour communiquer ? Cela ne fait aucun doute. « L’expression faciale émotionnelle est essentielle, c’est le premier contact à l’autre lors des interactions, assure Sandrine Gil, professeure à la faculté de psychologie de Poitiers. La partie haute du visage va devenir un élément plus crucial qu’avant. Il va falloir exprimer davantage ses émotions avec ses yeux ! » La chercheuse au sein du Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage (Cerca) va plus loin dans son analyse : « Si je vous dis que j’ai passé un super week-end en faisant une tête de dix mètres de long, vous comprenez que c’est le contraire. La sémantique peut être ambiguë. Des études ont montré qu’il existait des patterns du visage avec des muscles qui s’activent selon les émotions. Avec le masque, il nous manque toutes les informations situées sur la partie basse du visage, ce qui peut aboutir à de mauvaises interprétations car le cerveau analyse automatiquement le visage dans sa globalité. »
Des interlocuteurs méconnaissables
Le défi du masque se pose dans tous les milieux, tous les métiers. Chez les enseignants, c’est même une gageure à en croire Laura Abou Haidar, enseignant-chercheur à l’université de Grenoble-Alpes. « C’est la lecture des émotions qui permet d’instaurer des conditions de sécurité affective favorables à l’apprentissage. » De là à remettre en cause la pertinence des cours en présentiel, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. N’empêche, le masque oblige à rivaliser d’imagination pour transmettre des informations simples. Comme... reconnaître ses interlocuteurs ! « Avec des gens qu’on a moins l’habitude de côtoyer, ce n’est pas si évident », reconnaît Emmanuelle Doyen.
« Le masque sans doute plus problématique pour nous »
La psychologue du CH Laborit travaille au sein de la Maison de la réhabilitation psychosociale. Elle reconnaît que le port du masque ajoute une contrainte dans les échanges avec ses patients et l’oblige à se « réinventer ». « Je nomme désormais toutes les expressions de mon visage. Moi qui ai tendance à beaucoup utiliser l’humour, je dois veiller à ce qu’il n’y ait pas d’incompréhensions. » Au fond, le port du masque révèle aussi les différences culturelles. « Dans les pays à culture collectiviste, où le masque est très utilisé, exprimer ses émotions est mal perçu car cela pourrait enrayer le collectif. En revanche, dans les pays à culture individualiste comme le nôtre, les gens sont incités à exprimer leurs émotions personnelles. Le masque est sans doute plus problématique pour nous », conclut Sandrine Gil. Haut les masques !
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lundi 23 décembre