Hier
A l’heure du déconfinement, chacun se demande de quoi l’avenir sera fait, à titre individuel comme collectif. La crise sanitaire n’a pas encore révélé toutes ses répercussions sociales, économiques ou encore psychologiques.
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a imposé de nouveaux rythmes de vie, modes de travail, de consommation, de relation à l’autre… « Le confinement aura été pour nous l’expérimentation d’une « sphère de décélération », au sens où l’entend Hartmut Rosa (*) », commente Xavier Lerner. Le philosophe poitevin pointe, à travers ce « coup d’arrêt à l’accélération sociale et économique », une « distorsion du temps et de l’espace ».
Dans quelle mesure va-t-elle impacter la société ? D’un individu à l’autre, la réponse diffère mais beaucoup vont devoir faire face à « la crise des projets ». « Le projet est constitutif pour la construction de soi », rappelle le philosophe. Or, aujourd’hui, chacun se retrouve en quelque sorte « repoussé dans un présent confiné ». Conséquence : « Le futur perd de son attractivité. » Qui sait aujourd’hui ce qu’il fera dans quelques mois, dans quelles conditions, selon quelles modalités ? « D’ordinaire, nos projets individuels s’imbriquent dans le projet global de la société », constate Xavier Lerner. Celui-ci étant bouleversé, les individus vont-ils chercher à retrouver leur vie d’avant ou bien la remettre en question ? Avec quelle relation à l’autre ?
Lors du déconfinement, « il pourrait y avoir à la fois un soulagement mais aussi une hyper-vigilance coûteuse psychiquement, associée à une peur de l'autre, note Magali Delamour, psychologue clinicienne. Je ne suis pas sûre qu'il n'y ait que de la solidarité qui en ressorte... Car la peur peut également entraîner l'hostilité. »
« Relancer le désir de citoyenneté »
« Pendant cette crise, la sphère publique a tellement impacté la sphère privée que cela va relancer le désir de citoyenneté », considère Xavier Lerner. S’appuyant sur l’exemple récent des Gilets jaunes, il anticipe une « politisation de la société » accrue, alimentée par une situation économique inédite.
« Nous sommes confrontés à un choc économique violent, qui touche tout le monde. Un choc tel qu’il faudra une politique de relance, confirme l’économiste poitevin Olivier Bouba-Olga. Il va falloir que les puissances publiques se substituent aux initiatives privées, au moins dans les premiers temps. »
Selon l’Insee, le confinement a fait perdre à la France 35% de son activité économique. L’économiste a affiné ce chiffre par territoire : -32% pour Grand Poitiers, -35% pour Grand Châtellerault, -29% dans une zone rurale comme la communauté de communes Vienne et Gartempe… « Des secteurs sont plus touchés que d’autres. L’hôtellerie-restauration, l’industrie, la construction sont très impactées, les services non marchands, l’agriculture et l’agro-alimentaire le sont moins. » Dans ce dernier secteur, « il y avait déjà une tendance aux circuits courts. La crise pourrait jouer un rôle d’accélérateur mais cela coûte plus cher. Est-ce que les consommateurs sont prêts ? »
Comme au niveau macro-économique, Olivier Bouba-Olga invite à penser « en coût complet », en mettant dans la balance le coût de production et la sécurisation des approvisionnements. « Nous sommes allés trop loin dans l’éclatement de la chaîne des valeurs, avec des stratégies qui consistaient à toujours chercher le moins cher. » Ou qu’il soit.
Et si la crise servait de catalyseur vers la transition écologique ? Nicolas Hulot veut y croire. L’écologiste a rassemblé dans un manifeste, « Le temps est venu », ses cent principes pour un nouveau monde. « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un monde nouveau ; ce sera le même mais en pire », a, de son côté, prédit Michel Houellebecq(**). Le pessimisme littéraire de l’écrivain se vérifiera-t-il ou cette crise engendrera-t-elle un changement de paradigmes profond ? Seul l’avenir le dira.
(*) Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand contemporain.
(**) Lettre à France Inter du 3 mai 2020.
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lundi 23 décembre