Bug Powder. 31 ans. Travailleur (revendiqué) du sexe. Militant et allié de la cause féministe, ce Poitevin méconnu cultive la musique et l’écriture comme exutoires. Signe particulier : capable de passer de l’hyper-empathie à une forme singulière de détachement.
Promis juré, il a essayé de bosser « comme tout le monde ». D’abord au Mc’Do, ensuite dans une société d’assistance téléphonique. Mais dans les deux cas, la greffe a échoué. « Je n’arrive pas à accepter ce mondelà, ces boulots aliénants », glisse-t-il d’un ton calme. De Bug Powder, vous n’aurez ici que le surnom, référence-hommage au Festin nu, l’ouvrage à succès de l’auteur américain William S. Burroughs.
Son âge (31 ans) et ses activités « underground », il les commente volontiers. Ce fils de chauffeur routier et de mère au foyer a plongé dans les arcanes de l’industrie du sexe en 2004. D’abord en bossant dans un sex-shop. Ensuite en faisant « un peu de porno ». « Mais les conditions n’étaient pas très reluisantes. J’aimerais faire des choses moins mainstream, plus déviantes par rapport à la norme. »
A défaut, Bug Powder gagne aujourd’hui sa vie en combinant escorting et téléphone rose. La nuit, évidemment. En clair, il donne du plaisir aux femmes qui le sollicitent. Amateur de paraphilie -pratiques sexuelles alternatives-, il revendique son statut de travailleur du sexe. Du reste, il milite depuis longtemps au Syndicat du travail sexuel.
Sa vie serait peut-être différente aujourd’hui s’il n’avait pas rencontré cette femme, dans un peep-show, au contact de laquelle il a « beaucoup appris ». « Elle est décédée en 2011 et n’avait pas de quoi payer ses obsèques. C’est comme ça que j’ai commencé l’escorting. » Remarquez, le militant-de-la-cause n’emploie jamais le mot prostitution. Car dans son esprit, l’acte charnel, y compris le plus subversif, s’accompagne d’une relation d’empathie.
Un mécanisme de survie
« Je rencontre des femmes très différentes. Certaines cherchent à reprendre en main leur sexualité, d’autres ont besoin de sécurité, d’autres encore de se découvrir, développe le trentenaire. De mon côté, je les écoute et réponds à leurs désirs, dans la soumission comme dans la domination. Je suis sensible à leurs histoires. » Dans sa bouche, les mots sont choisis, précieux. Comme essentiels pour donner à comprendre « aux autres » son monde. Son job. Ses choix. Et aussi son chemin de vie tortueux.
On dit souvent que l’enfance conditionne le reste de notre existence. Alors sans doute que ses « quatre ans passés à l’hôpital » ont pesé dans la suite de son parcours. Ce musicien accompli dans la techno est né « malvoyant » et a souffert de synesthésie. Un trouble neurologique qui « déclenche deux sens en simultané ». « Quand j’écoute de la musique, il m’arrive de voir des couleurs, des textures, d’associer cela à un goût… », illustre Bug Powder. Qui ajoute avoir « développé un mécanisme de survie ». A l’adolescence, cette résistance aux « codes masculins » l’a de facto mis en marge. Il assume sa solitude et ses choix, ses goûts pour la « musique issue de l’oppression ».
« Là pour rien ni pour personne »
Lui qui met la dernière main à son autobiographie avoue cependant que l’écriture en particulier et la création en général lui permettent de « garder un équilibre mental ». On ose le terme d’exutoire. « Je n’arrive pas à donner un sens absolu à ma vie, confesse encore le DJ. Je ne suis là pour rien ni personne. Pourtant, je ne me sens pas mal, pas déprimé. J’aime la vie. Et j’accepte quand même d’avoir des attaches affectives, surtout avec des collègues féminines. Je ne m’entends pas trop avec la gent masculine. »
Le ton est calme, presque détaché. Il y a chez Bug Powder une forme d’intelligence aussi rare qu’insaisissable. Un contrôle absolu mâtiné de quelques failles béantes. « Vous savez, dans l’industrie du sexe, il y a beaucoup d’exclus qui ne se retrouvent pas dans le système. Dans toutes choses, il y a une part de choix et d’adaptation. » Le choix de la survie, définitivement.