Travailleurs détachés, la riposte s’organise

Les fraudes liées à l’emploi de travailleurs détachés posent toujours problème en France.?Et la Vienne n’échappe pas à la règle. Alors que l’eurodéputée Elisabeth Morin-Chartier a présenté son rapport au parlement de Bruxelles, des mesures de contrôle font leur apparition.

Romain Mudrak

Le7.info

En 2014, un million et demi de salariés européens étaient déclarés comme travailleurs détachés dans un autre pays de l’Union que le leur. La France était alors le deuxième pays d’accueil avec 230 000 personnes. La tendance ne fait qu’augmenter. Beaucoup d’entre eux arrivent tout à fait légalement. Mais selon une estimation réalisée par les Echos en 2015, 300 000 autres n’apparaîtraient pas dans les chiffres, faute de déclaration. Pire, selon Philippe Huet, secrétaire départemental de la Fédération du bâtiment (FFB86) -premier secteur concerné-, « même les salariés déclarés réaliseraient en fait le double des heures prévues de manière illégale ».

C’est tout le problème de la directive européenne de 1996 instituant ce statut de travailleurs détachés. Des employeurs français sous-traitent régulièrement une partie de leur activité à des entreprises installées ailleurs dans l’Union, qui contournent les lois pour faire baisser les prix. Les ouvriers sont Polonais, Portugais ou Roumains pour l’essentiel, reçoivent le salaire minimum enrance, mais doivent payer de leur poche le prix du voyage, des repas et de l’hébergement. Ils ne bénéficient d’aucun bonus mais acceptent, espérant améliorer leur quotidien.

Perte de contrôle
L’eurodéputée Elisabeth Morin-Chartier, dont le fief est à Poitiers, mène actuellement une concertation pour modifier cette directive. Jeudi dernier, elle présentait un premier rapport devant la commission Emploi du Parlement européen (lire ci-dessous). En parallèle, certaines collectivités ont instauré une « clause Molière » dans leurs appels d’offres pour obliger les salariés à parler français sur les chantiers sous couvert de sécurité. Les acteurs du bâtiment ont aussi obtenu qu’« à partir de mars, salariés et apprentis portent un badge d’identification professionnelle avec un QRcode renvoyant à leur dossier », selon Philippe Huet. « De quoi faciliter les contrôles de l’inspection du travail et de l’Urssaf. »

La nouvelle réglementation tape au porte-monnaie des employeurs malveillants. La responsabilité des maîtres d’ouvrage est aussi désormais engagée. Reste à les contrôler. Dans le bâtiment, à peine 1 500 chantiers sur toute la France l’ont été en 2016. 300 amendes ont été dressées, selon la FFB. « Le contrôle est de la compétence des Etats. Ils se tirent une balle dans le pied s’ils ne le font pas », souligne Elisabeth Morin-Chartier. Dans la Vienne, où 846 travailleurs détachés ont été déclarés en 2016, la direction du Travail estime qu’elle réalise suffisamment de contrôles. Mais concède aussi que les procédures de vérification dans les pays d’origine s’avèrent si longues que les travailleurs sont souvent déjà repartis chez eux.

 

La rémunération en débat
En France, on résume trop souvent la question des travailleurs détachés à une concurrence déloyale, les employeurs étant soumis aux cotisations sociales du pays d’origine, forcément moins élevées que chez nous. Ce volet sera abordé en fin d’année dans une autre directive qui doit être revue. Mais la France ne sortirait pas forcément gagnante d’un renversement de situation. Il faut savoir que l’Hexagone est le troisième plus gros « exportateur » de travailleurs détachés et ces 200 000 Français préfèrent encore bénéficier de la « sécu » française.
Le vrai sujet est traité actuellement au parlement européen. Jeudi dernier, Elisabeth Morin-Chartier (PPE) et sa collègue socialiste néerlandaise Agnes Jongerius ont présenté leurs préconisations pour faire progresser la directive de 1996 vers plus de protection sociale pour le salarié. Point essentiel : parler de « rémunération » incompressible intégrant les primes et treizième mois, plutôt que de « salaire minimum », auquel les employeurs fraudeurs retirent des frais de transport, logement... Le débat au parlement aura lieu le 16 février.

 


Rapport sur les travailleurs détachés... par Redaction7

 

Et dans le transport ?
Le transport routier est le métier mobile par excellence. Les employeurs paient leurs salariés pour bouger d'un pays à l'autre. Ils peuvent traverser trois ou quatre pays dans la même journée, en restant sous le contrat de travail du pays d'origine. Tout cela paraît logique. Mais il est impossible d'appliquer le salaire minimum du pays d'accueil comme le préconise la directive européenne de 1996. Le problème vient donc ici des coûts salariaux. La différence peut atteindre 200% ! La Pologne est devenue aujourd'hui le premier pavillon européen. La France, qui représentait 50% du transport routier au sein de l'Union en 2000, n'effectue plus que 11% des trajets. « On est impuissant, ces pratiques sont légales », admet le président Poitou-Charentes de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), Jean Christophe Voiron. Toutefois, la FNTR compte peser sur un débat en particulier : le cabotage. Actuellement, un transporteur européen peut effectuer jusqu'à trois trajets à l'intérieur d'un autre pays que le sien avant de repartir. Afin de préserver au moins le marché intérieur, la FNTR demande qu’un concurrent étranger ne puisse effectuer qu'un seul trajet avant de recharger et de repartir. A suivre.

 

En chiffres
846
. Le nombre de travailleurs détachés déclarés dans la Vienne en 2016. Cela représente 266 déclarations (5,9% du total de la Nouvelle-Aquitaine).
Le bâtiment : 16,3% des détachements ; le travail temporaire (dont certains travailleurs peuvent être placés dans le bâtiment) : 19% ; industrie : 9,5% ; agriculture : 7,9% ; divers : 43%.
Sur les 266 déclarations, une quarantaine ont été contrôlées sur le terrain en 2016 afin de vérifier les conditions de travail et le recours éventuel à plus de salariés détachés que prévu.
1,5 million de salariés en Europe étaient considérés comme travailleurs en 2014. Avec 200 000 salariés envoyés dans l’Union, la France est le 3e pays « exportateur » derrière la Pologne et l’Allemagne. La France est aussi le 2e pays d’accueil (230 000 en 2014), avec 19% de Polonais, 11% de Portugais et 9% de Roumains.
Image : Fotolia

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