Dans la Vienne, trois chefs d’entreprise du bâtiment se sont donné la mort en 2016, dont le dernier il y a quelques jours seulement. En cause, la crise économique et ses ravages sur la santé des sociétés du secteur. L’heure est grave.
C’et un tabou difficile à lever dans un domaine d’activité très masculin et où la concurrence se révèle sans pitié. La détresse psychologique des dirigeants du bâtiment s’avère pourtant réelle. L’an passé, trois chefs d’entreprise se sont suicidés -le troisième pendant les fêtes-, provoquant une émotion vive mais contenue. Au-delà de ces cas forcément symboliques, de nombreux autres dirigeants sont « à bout ». « Dans le contexte économique que nous vivons, il ne faut pas s’étonner que nous soyons fatigués et que certains prennent des décisions irréversibles », alerte Cédric Murzeau, dirigeant de l’entreprise éponyme (25 salariés).
« L’année 2016 a été très violente, relève pour sa part Philippe Huet, secrétaire général de la FFB86, peut-être plus que 2014-2015. Quarante-cinq entreprises ont mis la clé sous la porte au premier semestre, avec cinq cents emplois perdus dans le même temps. » Les effectifs du bâtiment dans la Vienne sont passés de 8 500 salariés en 2008 à 6 000 l’année dernière. Face à cette hécatombe, les trésoreries sont exsangues et la détresse des petits patrons palpable. D’autant que certains préfèrent taire leurs difficultés -souvent de l’épuisement professionnel- et s’enfermer dans le silence. Y compris auprès de leurs familles. Une spirale destructrice. « La fameuse honte de l’échec typiquement française », estime Philippe Huet. Les listes de mises en redressement judiciaire ou de liquidations lui servent de baromètre. « A chaque fois, j’appelle le chef d’entreprise concerné pour savoir quelle aide nous pouvons lui apporter… »
« Des difficultés plurielles »
Au-delà d’un simple coup de fil, la FFB 86 a mis en place, à la rentrée 2014, une cellule d’écoute et d’accompagnement psychologique « bicéphale » (*). Le premier niveau, c’est Martine Dudit qui l’incarne. Ancienne formatrice et conseillère à l’ANPE, l’intéressée a également occupé un poste de DRH dans une entreprise du bâtiment. « Ce que je retiens des entretiens que j’ai pu réaliser (seize entrepreneurs, Ndlr), c’est l’extrême solitude dans laquelle vivent ces dirigeants. Maintenant, j’écoute leur histoire de manière globale, notamment leurs problèmes familiaux. Les difficultés sont plurielles. » Cette écoute active et confidentielle se déroule sur « trois à cinq » séances. « D’un rendez-vous à l’autre, je leur demande de mettre en place des choses. L’idée n’est pas de les porter mais bien de les accompagner. »
Second niveau : la création de groupes de soutien psychologique. Sous la conduite de Denis Robin et Sylvie Dieumegard, huit à dix chefs d’entreprise cherchent ensemble des solutions à leurs problématiques. « Et ça leur fait du bien, avoue Denis Robin, psychologue clinicien et formateur au Cnam. On ne se rend pas compte de ce qu’ils donnent pour leur entreprise et de la culpabilité qu’ils ressentent vis-à-vis de leurs salariés. » Hélas, certains passent sous les radars de la Fédé du bâtiment. Avec des drames humains en bout de course…
(*) Sur point-de-rupture.com, retrouvez les contacts de Martine Dudit (06 12 82 62 43) et de la FFB 86 (05 49 61 20 68). Ces deux lignes sont accessibles à n’importe quel chef d’entreprise du bâtiment. Les groupes de soutien psychologique sont également ouverts aux ressortissants de l’UIMM et du Medef.
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