Aujourd'hui
Dominique Gaud. 64 ans. Ancien professeur de mathématiques au Lycée pilote innovant international de Jaunay-Clan. Retraité depuis trois ans, ce passionné de sciences et d’art consacre son temps à la promotion de sa discipline. Et voue une admiration particulière aux génies qu’il a eu la chance de croiser.
C'est dans un fauteuil roulant que Dominique Gaud ouvre la porte. « Une vilaine chute à l’aéroport de Venise » lui vaut six semaines de plâtre. Qu’importe. Derrière son bureau en bois, le professeur retraité écarte ses dossiers pour entamer la discussion. « Alors, qu’est-ce qui vous intéresse dans mon parcours ? Je n’ai rien fait d’incroyable. » Point de médaille Fields au palmarès, certes, mais une carrière d’enseignement vouée à la transmission de sa passion des maths.
Dans sa maison de Migné-Auxances, ce père de trois enfants, « dont l’un est prof de maths », est entouré par les livres. Des manuels scolaires, bien sûr, mais quelques raretés, comme cet ouvrage de Ketâb al-Nejârat, datant du XIIIe siècle. « Ce livre est fascinant, confie Dominique Gaud. Le mathématicien y explique aux artisans comment concevoir simplement des figures géométriques. » À chaque bouquin, une anecdote. Sur un coin de la table, la lecture du moment : Les certitudes du hasard, d’Arthur Engel.
À scruter la vaste bibliothèque avec attention, on découvre quelques ouvrages n’ayant rien à voir avec les mathématiques. Des livres sur Venise, « où le tendon d’Achille a lâché », Rome, Sienne, la peinture italienne... « Je me suis intéressé à la perspective artistique pour former des professeurs de terminale L. Vous savez, beaucoup de choses de la vie ne peuvent être comprises sans mathématiques. Un matheux n’est pas bizarre, il voit simplement différemment. Quand je vais à la cathédrale de Poitiers, je m’interroge par exemple sur la manière dont les rosaces ont été créées à l’époque. Je trouve que les gens ne se posent pas assez de questions. Pour ne pas subir le monde, il faut s’interroger, quitte à ne pas trouver de réponses. »
L'ascenseur social
Enfant, Dominique Gaud n’a pas mis longtemps à choisir sa voie. Captivé dès son plus jeune âge par les maths, ce fils d’ouvrier a suivi une route tracée d’avance vers l’enseignement. « J’ai pris l’ascenseur social classique. Après le lycée, j’étais admissible en classes préparatoires, mais comme tout Poitevin issu d’un milieu ouvrier à cette époque, j’ai rejoint les bancs de l’université. » Brillant élève, il a pu financer ses études grâce à une bourse de l’Institut de préparation aux enseignements de second degré. « Ces aides n’existent plus aujourd’hui et c’est bien dommage, déplore-t-il. On manque cruellement de candidats au Capes. Et rien n’est fait pour que ça change. »
Après quelques années passées à La Roche-sur-Yon, Dominique Gaud rejoint les rangs du Lycée pilote innovant international, du temps de Monory. « Je fais partie des dinosaures du LPII, sourit-il. De ceux qui ont vu ce projet pédagogique fabuleux se construire. Enseigner dans cet établissement a été une chance. » Pendant plus de trente ans, le professeur de mathématiques a animé son cours avec la même fougue. « Un prof heureux et convaincu transmet plus facilement sa passion aux élèves qu’un autre qui rentre dans la classe à reculons. »
« La passion se perd »
Parallèlement à ses cours au lycée, Dominique Gaud a contribué au développement de l’Institut de recherche pour l’enseignement des mathématiques (Irem) de Poitiers, forméde futurs enseignants, organisé des dizaines de colloques, imaginé des expositions pour l’Espace Mendès-France (EMF)... « Je continue toujours !, lance-t-il. Bénévolement, bien sûr. Je n’arrête pas. Et il est hors de question que j’arrête. »
Depuis qu’il est à la retraite, il porte un regard perplexe sur l’avenir de la profession en France. « Les salaires sont bien trop bas dans l’Education nationale. Si on ne les rend pas plus attractifs, les étudiants en mathématiques continueront de filer vers les écoles d’ingénieurs ou la finance. La passion se perd. » La sienne, en tout cas, est intacte. Avide de découvertes, il attend le 12 octobre avec impatience. « Avec les collègues de l’APMEP(*), nous recevons Jean-Paul Delahaye à l’EMF. Ce type est fascinant, il fait partie des grands matheux de notre époque. »
Dans sa vie, Dominique Gaud aura eu « la chance » de croiser la route de grands noms des maths. Benoît Mandelbrot, père des fractales, ou Cédric Villani, médaillé Fields, qu’il a même hébergé chez lui. « Il était de passage à Poitiers et ne voulait pas dormir à l’hôtel. C’est extraordinaire et enrichissant de rencontrer des personnes aussi brillantes. Ce sont un peu des surhommes, selon moi. Quand vous êtes face à ces gens, vous fermez votre gueule et vous écoutez. »
(*) Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public.
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Patricia Thoré, l'amie des bêtes
Patricia Thoré « de la Maraf ». 67 ans. Originaire de Rochefort, arrivée dans la Vienne en 1998. Ancienne militaire de carrière aujourd’hui responsable de la Maison d’accueil et de retraite des animaux de la ferme, à Salle-en-Toulon. Amie des bêtes et femme de conviction.