Semeur de graines

Laurent Fillion. 46 ans. Créateur de l’Ecole de l’ADN. Enfant d’un petit village du nord de la France, ce docteur en biologie a osé poursuivre des études supérieures. Un goût et une ambition qu’il cherche à diffuser depuis dix ans, à travers des ateliers de vulgarisation scientifique.

Question : qui est capable de situer sur une carte Le Nouvion-en-Thiérache ? Pas simple. Regardez du côté de la frontière belge. Dans l’Aisne. Cette petite commune de 3 000 habitants a le privilège de posséder sur son territoire l’un des plus importants producteurs français de maroilles et d’avoir été le terrain des premières découvertes de Laurent Fillion. C’est dans ce village rural qu’il grandit, choyé par des parents commerçants, troisième d’une fratrie de quatre enfants.

Passionné par les sciences du vivant, le jeune homme obtient, à l’époque, des résultats exceptionnels. Mais poursuivre des études supérieures dans son milieu ne coule pas de source. « J’étais le premier à y prétendre dans la famille. Mes parents me soutenaient, sans pour autant bien comprendre ce que je voulais devenir. Ils me faisaient confiance », se souvient le docteur en biologie.

Oser partir

Il ose rejoindre Lille, la grande ville et son université. Reste que pour un succès, combien d’autres candidats ont ravalé leurs ambitions faute de moyens ou d’ambition personnelle ? Ce constat est toujours vrai. Dans le Nord comme dans le Poitou. Laurent Fillion dresse tous les jours ce constat, en discutant avec les lycéens et les collégiens des ateliers de l’Ecole de l’ADN. Depuis dix ans, l’association qu’il a créée tente de transmettre le goût des sciences au jeune public, à travers des expériences tirées du quotidien. « J’essaie de leur dire qu’il faut avoir de l’ambition, même quand on habite Thouars ou Barbezieux. » Des arguments parfois démentis par l’actualité. Malgré sa conviction, il avoue être exaspéré à chaque fois que la parole politique remet en cause les financements de la recherche : « Quand je vois les fonds publics diminués, j’ai parfois l’impression d’envoyer les jeunes vers le chômage. Pourtant je suis convaincu que si on ne mise pas sur l’éducation et la recherche, le pays finira mal. »

Une aventure dans les biotechs

Les études supérieures et la biologie en particulier sont pour lui une source d’épanouissement personnel. « Ma discipline m’a permis d’aborder de nombreux domaines, comme la santé ou l’environnement. La curiosité et l’ouverture d’esprit m’ont donné envie d’aller voir ailleurs. » Ailleurs, jusqu’à Poitiers. En 1994, Laurent Fillion quitte la Sambre pour faire sa thèse entre Boivre et Clain avec la ferme intention de repartir chez lui. Il retrouve dans son laboratoire un visage connu : Annie, la prof de Sciences et vie de la Terre de son lycée d’Hirson, qui lui avait transmis le goût pour la bio. Elle a décidé de reprendre des études et de valider son doctorat. « On est restés très liés. Elle est aujourd’hui au lycée Camille-Guérin. » Le hasard joue parfois des tours.

Quatre ans et un passage furtif dans une multinationale du phytosanitaire plus tard, Laurent Fillion s’associe avec quatre anciens étudiants pour créer la start-up Valbios. Son concept ? F abriquer des produits biologiques pour améliorer les cultures et renforcer les défenses naturelles des plantes. « C’était peut-être trop tôt, concède l’intéressé. Les banquiers ne comprenaient rien à ce qu’on voulait faire. » L’aventure fait long feu. Mais la stratégie de vulgarisation scientifique qu’il a mise en oeuvre à cette occasion est la première d’une longue série.

Le sourire de cet homme de 46 ans, marié et père de trois enfants, démontre une franche humanité. Le « Bafa » en poche, il a longtemps hésité entre l’animation et la biologie. L’Ecole de l’ADN a définitivement réglé ce dilemme. Au côté de Laurence Héchard, Emmanuelle Tiennault, Elodie Prado et de toute l’équipe de bénévoles, il poursuit sans relâche, depuis dix ans, sa vocation de « semeur de graines ». Sans jamais renier ses origines. Même si le prof privilégie le chabichou au maroilles, quand il propose à ses élèves d’observer au microscope la croûte d’un fromage.