La course de sa vie

Kamel Latrach. 39 ans. Infatigable coureur à pied. Gamin de la ZUP de Niort devenu quelqu’un, père de famille impliqué et citoyen engagé. A l’aube de ses quarante piges, l’informaticien poitevin respire un bonheur simple et communicatif.

Arnault Varanne

Le7.info

Le 3 juin prochain, Kamel Latrach ne sortira pas les bougies du placard, préférant, en bon marathonien, attendre de fêter ses 42 ans. L’anecdote est glissée sur un ton facétieux. Mais il y a fort à parier que le coureur du CA Pictave suivra sa prédiction. Que voulez- vous, le bitume, il l’a dans la peau, depuis qu’un entraîneur du club -Rémy Bergeon- lui a fait cette remarque : « Ah, chouette, un Marocain, ça court à 20 km/h ! » « C’est la première fois que quelqu’un considérait ma différence comme une qualité. » Les dieux de la génétique lui ont donné « un cœur et des jambes qui fonctionnent bien ». Pas de quoi tutoyer les sommets de la course à pied, quand même !
 
« Moi, je suis un laborieux, je prends le temps de vivre mon sport. C’est un épanouissement personnel. » Parce qu’à trente-neuf printemps, il est peut-être dans la meilleure forme de sa vie, le douzième Français du marathon de New York 2014 se paie désormais le culot de défier les meilleurs. Début octobre, Kamel a participé à ses premiers «France» sur 20 km, alors qu’il obtient la qualif’ presque chaque année. « A dire vrai, je n’ai pas une très grande confiance en moi et, jusque-là, je n’avais jamais osé y aller... » La perspective de joindre l’utile à l’agréable en... Martinique a fini par le convaincre. Sous un soleil presque aussi élevé que son âge, sa place (54e) et son chrono (1h20) sont à relayer au second plan.
 
« La chance d’avoir un voisin raciste »

Reste cette joie communicative, ce « sentiment de liberté » baskets au pied et cardio au zénith. Dans le peloton, l’informaticien aux petites lunettes « BCBG » dénote par ses manières d’extraverti et son air d’éternel junior. Mais le réduire à cette simple image serait presque un manque de respect. Le fils d’ouvrier et de femme de ménage, dernier d’une fratrie de quatre, revendique ses origines, ses convictions et son appétence pour le débat politique. Le racisme dans la Zup de Niort ? Il n’en fut jamais victime -« j’avais le foot, les copains, bref j’étais heureux, alors que mes grands frères en ont plus souffert »-, jusqu’à ce que le voisin de palier s’en mêle. « Je peux le dire maintenant, on a eu la chance d’avoir un voisin raciste. Il nous a fait comprendre qu’on ne devait pas rester. Du coup, mes parents ont pris la décision d’acheter une maison à Echiré. » Échiré, la capitale deux-sévrienne du beurre. Ça ne s’invente pas !
 
Comme de nombreux ados du « 79 », « l’étudiant boursier » -il y tient-, a filé à l’université de Poitiers se faire un nom. Ses rêves de professeur de mathématiques se sont évanouis avec la rudesse des épreuves, mais il n’a pas tout perdu. C’est à la fac que Kamel a rencontré Aurélie. Celle qui, depuis près de vingt ans, porte sur lui « un regard amoureux, protecteur et bienveillant ». « A l’époque, elle a vu en moi quelqu’un de bien, alors que je n’étais pas vraiment «bankable »». De cette union, sont nés trois enfants, des jumelles de 9 ans et un garçon de 5 ans. Avec sa vie familiale, la course à pied et son job d’informaticien, Kamel Latrach a le sentiment d’un parfait équilibre.

Généreux dans l'effort
 
Bien entendu, lorsqu’un des fondements de ce triptyque vacille, c’est tout le reste qui s’enraye. Pendant son septennat au Siveer (*), le néo-conseiller municipal de Vendeuvre a été victime d’un burn-out. Sans doute le symptôme extrême de l’un de ses principaux traits de caractère : la générosité. « Je donne tout à ceux qui croient en moi », assure- t-il. L’assertion est sincère dans la bouche de ce citoyen engagé. « Dans un monde d’une violence inouïe », il ne jure que par la « valeur travail », loue cette France « généreuse et extraordinaire », fustige le «fatalisme» et les oiseaux de mauvais augure qui le propagent. Des convictions profondes qu’il en- tend transmettre à ses enfants. « Je veux être un bon père ! » Sur son terrain de jeu favori, le dépassement de soi est de facto un impératif.
 
Fidèle en amitié, le Marocain-qui-court-à-20km/h n’a jamais changé de club ni de méthode. Les plans d’entraînement et préparations ultra-contraignantes ? Très peu pour lui. Kamel suit son instinct. Au point de courir et gagner un 20km la veille de son premier marathon du Futuroscope, en 2006. Une folie douce qu’il assume avec son éternel sourire béat. On ne le changera pas. « Je sais que je n’écoute pas assez les autres et que je suis fatigant à la longue ! » Avec le temps, il a appris à équilibrer les colonnes « forces » et « faiblesses ». Avec le temps, il a surtout appris sur lui-même. Son entrée dans la quarantaine rugissante n’en sera que plus douce...

(*) Aujourd’hui appelé Syndicat des eaux de la Vienne.
 

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