Le fléau de "l'arnaque au président"

Le 12 juin dernier, l’entreprise poitevine Fabrix a été victime d’une « arnaque au président ». La dirigeante Elisabeth Guillaumond a failli perdre plusieurs dizaines de milliers d’euros. Elle a porté plainte au commissariat de Poitiers et une enquête est en cours. Dans la Vienne, cinq autres PME auraient subi le même sort. Décryptage d’un phénomène inquiétant.

Arnault Varanne

Le7.info

Après coup, elle a poussé un immense ouf de soulagement. Mais avec du recul, Elisabeth Guillaumond se dit qu’elle a frôlé la catastrophe. Petit retour en arrière. Nous sommes le 12 juin dernier. En fin de matinée, la comptable de Fabrix reçoit un appel d’un dénommé Patrick Joubert, prétendu notaire de la dirigeante d’entreprise (57 salariés). Lequel interroge l’employée sur son degré de connaissance d’un virement à effectuer « au titre d’un acte notarié ». Comme par « hasard », à ce moment précis, Mme Guillaumond se trouve à l’extérieur, prise par d’autres engagements. Le « notaire » indique à la comptable qu’elle va recevoir un courriel de sa patronne, mais que l’opération est « très confidentielle ».

La missive électronique ne tarde pas à arriver et les échanges paraissent si « naturels » et « plausibles » que l’employée déclenche un premier ordre de virement de 50 000€ -plusieurs centaines de milliers d’euros en jeu au total-, en fin d’après-midi, pour le compte d’une société chinoise baptisée Long Empire Limited. Entre-temps, elle a bien tenté de joindre la dirigeante, mais son portable est déchargé. Plus tard dans la soirée, ses doutes la conduisent finalement à se rapprocher d’elle « physiquement ». « Je me suis alors précipitée au bureau et j’ai annulé le virement en cours. La transaction était prévue pour être déclenchée le lundi matin », témoigne la patronne.

« Numéro sans doute volé »

De vérifications informatiques en coups de fil à son banquier, Elisabeth Guillaumond a passé un week-end très agité. L’affaire aurait pu en rester là, si le faux notaire n’avait rappelé le lundi 15 juin, pour vérifier l’exécution du virement. Manque de chance, il a été « reçu » par la victime elle-même, qui l’a cuisinée quelques instants avant que la conversation ne tourne court. « J’ai relevé le numéro de portable, sans doute volé, que j’ai transmis au commissariat lors de mon dépôt de plainte. »

Des tentatives d’« arnaques au président », auprès de PME régionales, gendarmerie et police en recensent tous les ans. Six adhérents du Medef Vienne auraient été victimes de tentatives, au cours des derniers mois. L’un d’entre eux a perdu de l’argent. La DDSP(*) évoque, pour sa part, quatre cas en 2014. « Les faux ordres de virement internationaux fonctionnent à partir de modes opératoires très sophistiqués », admet l’adjudant Jean-Michel Lathière, référent sous-officier intelligence économique à la région de gendarmerie de Poitou-Charentes.

Attaque d’ingénierie sociale

Faux tests informatiques, usurpation d’identité, imitation de la voix des dirigeants par des logiciels spécialisés, géolocalisation des portables… Pour asseoir leur crédibilité, les escrocs apportent des éléments extrêmement précis sur l’entreprise et son PDG. « C’est ce que l’on nomme une attaque d’ingénierie sociale », précise Jean-Michel Lathière. Les salariés-exécutants n’ont donc aucune raison de se méfier outre-mesure. Depuis 2010, mille deux cents entreprises françaises, dont Michelin pour 1,6M€, auraient ainsi perdu 360M€ dans ces escroqueries de haut vol. Le phénomène touche aussi bien les grands comptes que les Petites et moyennes entreprises. « Si j’ai décidé de porter plainte, c’est précisément pour que chacun soit prudent. Personne n’est à l’abri », ajoute Elisabeth Guillaumond.

En mai dernier, le pionnier de « l’arnaque au président », Gilbert Chikli, a été condamné à sept ans de prison et 1M€ d’amende par le tribunal correctionnel de Paris. Mais l’homme est réfugié en Israël et donc « intouchable ». Pour le moment…

(*) Direction départementale de la sécurité publique.

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