François Godard : « Si ça secoue, c’est que je suis vivant ! »

Le conteur Poitevin François Godard présentera jeudi soir à La Blaiserie, à Poitiers, son nouveau spectacle intitulé Mot manquant… Car il n’en existe pas pour désigner un parent qui a perdu son enfant.

Claire Brugier

Le7.info

Quelle est la genèse de votre nouveau spectacle, Mot manquant ?

« Le point de départ, c’est la mort de mon fils, il y a huit ans. Dans le temps qui a suivi, j’ai avalé pas mal de médocs. Le pharmacien était un vieux monsieur, qui lui aussi avait perdu un enfant. Un jour, il m’a glissé : « Lors de la cérémonie, vous avez dit des choses… Moi il m’a fallu plus de dix ans. » Sur le moment, je n’ai pas compris, mais je n’ai pas oublié. Mon métier, c’est de mettre des mots sur des émotions. Or le deuil est très partagé et pourtant absent de l’espace collectif. J’ai compris que mon savoir-faire de conteur pouvait servir à d’autres. »

Comment avez-vous écrit 
ce spectacle ?

« J’ai été accompagné par une collègue conteuse, Nathalie Léone, qui m’a fait connaître un rituel mortuaire qu’elle avait ramené de Roumanie. De mon côté, j’ai recherché des contes sur le deuil dans la mythologie et le répertoire traditionnel français, mais il en existe très peu. Progressivement, j’ai rebâti la possibilité de monter sur scène, seul avec ma guitare électrique, et je m’y trouve bien. Car entre autres choses que j’ai apprises depuis huit ans, il y a la guitare électrique, un instrument qui peut vraiment hurler… »

Comment sort-on 
de l’intime ?

« Le titre initial était (-mot manquant-), quelque chose de très humble car j’étais juste un père ravagé, pas un auteur. Et puis en octobre, à Paris, je suis allé voir Racine carrée du verbe être, dans lequel Wajdi Mouawad dit que tout ce qu’il a fait de beau vient de la guerre au Liban. Aujourd’hui, cela me paraît pensable de faire du beau à partir d’une pure saloperie. Ce n’est pas trahir mon fils ni trahir ma douleur, mais partir de l’intime pour donner de l’air à tout ça. J’ai très envie que ça se joue. Et si ça secoue, c’est que je suis vivant ! Je fais le pari qu’ensemble on puisse avoir un peu moins mal chacun. Qu’est-ce que c’est un spectacle, sinon mettre les choses à distance. »

N’est-ce pas aussi le pouvoir des mots ?

« Tous les rituels autour de la mort ont des mots (et à manger et à boire). Et il semble qu’une des raisons pour lesquelles il n’y a pas de conte sur le deuil, c’est qu’ils ne parlent que de ça, de quelqu’un qui part, se transforme… Et puis les conteurs travaillent toujours avec l’absence, pour montrer quelque chose qui n’est jamais là. Beaucoup d’artistes disent que l’art est une façon de repousser la mort. Là il s’agit de lui trouver une place avec laquelle je puisse vivre. Le conteur, au sens strict, est celui qui raconte une histoire. Quand je dis « je », c’est bien moi. L’objectif est d’être dans la symbolique, en mon nom. »

Dans un monde très visuel, quelle est aujourd’hui la place du conte ?

« Il y a une réponse facile, qui est de dire que tout ça, Facebook, Instagram et autres, ne va pas durer. Mais j’anime actuellement un atelier au lycée du Bois d’Amour auprès de jeunes qui sont nourris aux réseaux sociaux. Au départ, ce que je leur propose leur semble très exotique mais, lors de la dernière séance, certains se sont piqués au truc. C’est la preuve que c’est toujours là ! Le conte peut connaître des phases de clandestinité mais il est trop fondamental pour disparaître. »

Avez-vous déjà pensé à l’après-Mot manquant ?

« Ça a pris tellement de place, je ne sais pas… J’ai d’abord envie que ce truc-là vive. Et puis en général j’aime plus jouer que créer. »

Mot manquant, de François Godard, jeudi, à 20h30, au centre socio-culturel de La Blaiserie, à Poitiers.

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