L’inquiétude des Libanais ici et là-bas

Khodor était à Poitiers en 2006 quand a éclaté le conflit israëlo-libanais, Elsa s’y est installée en 2022. A plus de 
4 000km de distance, les deux Libanais partagent la même inquiétude face aux bombes israéliennes qui s’abattent de nouveau sur leur pays.

Claire Brugier

Le7.info

Plus d'1,5 million de personnes déplacées, plus de 
1 500 morts et quelque 20 000 blessés, le bilan humain des attaques israéliennes au Liban ne cesse de s’alourdir. A l’angoisse des Libanais sur place répond celle des ressortissants installés en France, à l’instar d’Elsa. « On ressent beaucoup de culpabilité à être là, en sécurité », confie la jeune femme de 31 ans. Installée depuis deux ans à Poitiers, elle suit jour et nuit l’actualité sur son portable. Seule son travail lui permet de s’extraire de cette inquiétude permanente. 
« Parfois j’ai envie d’oublier que je suis Libanaise, de me détacher de la réalité. »

Depuis quelques années, la communauté libanaise de Poitiers ne cesse de grossir. Elle compterait actuellement quelque deux cents étudiants et jeunes actifs et entre cent et cent cinquante familles. Elsa, elle, a décidé de quitter le Liban à la suite de l’explosion survenue au port de Beyrouth, le 4 août 2020. « C’était un mardi soir, je rentrais du travail, le plafond de ma voiture s’est affaissé à 4cm au-dessus de ma tête. J’ai appelé mes parents pour savoir quelle route je devais prendre pour ne pas mourir… » Sa génération n’avait jusque-là pas connu la guerre. Néanmoins « ce que nos parents ont vécu n’est pas ce qu’on vit : ils ont grandi en période de guerre mais ils n’avaient pas l’inquiétude qui est la nôtre, la sensation que si tu ne quittes pas le Liban, tu ne peux pas rêver, grandir, avoir de l’ambition. » Malgré un climat 
« assez tendu depuis un an »,
Elsa est rentrée à Jounieh, une ville du littoral au nord de Beyrouth, à Noël dernier, et cet été en dépit d’un vol annulé. « Actuellement, il n’y a plus d’endroit sûr, même si selon les médias seules les régions contrôlées par le Hezbollah sont ciblées. C’est frustrant de constater qu’ils ne montrent pas ce qui se passe véritablement. »

« Cela dépasse le Liban »

« On ne parle pas des victimes civiles, complète de son côté Khodor. On est en train de pousser les gens à accepter la notion de dommage collatéral. » 
L’enseignant en droit a fait ses études à Poitiers, « au 43, place Charles-de-Gaulle », se souvient-il avec émotion. Il est retourné au Liban en 2012. « En 2006, j’étais en France quand a éclaté le conflit. A l’époque, j’avais œuvré pour soutenir les Libanais sur place. Là c’est l’inverse : je suis au Liban et je vis cette guerre en direct. Ce qui change cette fois, c’est que l’on voit le feu vert clair donné à Israël pour finir le boulot. On voit le train passer mais on ne peut rien faire, cela dépasse le Liban, un petit Etat où toutes les religions cohabitent, ce qui n’est pas le cas en Israël. »
Avec sa famille, Khodor s’est éloigné de la capitale pour s’installer plus au sud, près de Barja. « Je veux éviter que mes enfants entendent le bruit des bombes et des MK comme des mouches toute la journée. A Beyrouth, les quartiers sont déformés, on ne reconnaît plus rien, tout est par terre. » Plus que tout, il appréhende la suite. « Je suis né juste avant la guerre civile, je ne veux pas que mes enfants vivent ça. Je veux que ce conflit se termine mais pas que mon pays soit occupé. »

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