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Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit, les traditions… Deuxième étape avec l’Ordre du Vénéré Bitard (loué soit-il !), une coutume estudiantine de plus de cent ans d’âge, d’inspiration rabelaisienne.
A 101 ans, l’Ordre du Vénéré Bitard (loué soit-il !) n’a pas dit son dernier mot et continue d’attirer dans ses rangs les étudiants de Poitiers en quête de… Mais de quoi précisément ? « L’Ordre, ce sont des fraternités qui se matérialisent », résume Dominique. « Job », de son surnom de Bitard, a été Grand Maistre au début des années 1990, son fils Corentin l’an dernier. Entre les études de l’un et celles de l’autre, « l’Ordre a évolué en suivant la société, souligne Manon, alias « Croizon ». Il faut se réinventer. » La jeune femme a aussi revêtu la cape bleu roi rehaussée d’hermine blanche de Grand Maistre entre 2019 et 2021 (Covid oblige). Rien de surprenant. « Au début, il y avait autant d’hommes que de femmes parmi les dignitaires de l’Ordre, puis le côté paillard se développant, les femmes ont été moins nombreuses », constate Manuel Segura, ancien Bitard devenu professeur d’histoire (lire ci-dessous). Depuis sa création, « la transmission est orale, il n’y a pas de texte écrit », rappelle Virgile, alias « Tonic », le nouveau Grand Maistre.
Si la même philosophie court de génération en génération, « à mon époque, on allait en cours en cape et faluche. On en trouvait même mention sur la carte d’étudiant, reprend Dominique. Et l’engagement politique était très marqué, un aspect qui s’est éteint au profit du côté festif. » Y compris autour de petits-déjeuners. Par ailleurs, « être Bitard a toujours voulu dire bien travailler, pour la bonne raison que si on voulait faire la fête longtemps, il fallait que les études suivent ! ». Un système informel de tutorat entre anciens et nouveaux étudiants perdure. « Au sein d’une même filière, les Bitards se donnent des coups de main », confirme Corentin. Si seuls une vingtaine d’étudiants portent cape et faluche aujourd’hui -mais on est Bitard à vie-, « une particularité identitaire de la vie étudiante à Poitiers, c’est de côtoyer l’Ordre », assure Manuel Segura.
A l’origine était… Roger Jozereau qui a offert en 1923 aux étudiants un conte relatant une chasse au bitard, inspirée de celle décrite au chapitre XXVI de Pantagruel, au cours de laquelle Carpalim ramène entre autres « sept bitards ». La même année, les étudiants organisent une chasse lors de la foire-expo de Poitiers. Pour l’occasion, un taxidermiste donne corps au Venéré Bitard (loué-soit-il !) : une tête de fouine, un corps de carpe, des pattes de lièvre et une queue de dindon.
Essentielle, la Semaine estudiantine
« La confrérie a inscrit une semaine de carnaval dans la ville, où il n’y avait pas la tradition de Mi-Carême que l’on retrouve ailleurs. Dans les années 1930 à 1950, la Semaine estudiantine a été une grande récré qui a marqué la vie des étudiants car ceux qui étaient à Poitiers étaient souvent ceux qui n’avaient pas les moyens d’aller à Paris », explique Manuel Segura. En 2025 aura lieu la 70e Semaine estudiantine, toujours à l’équinoxe de printemps.
Immuable, la fanfare
« La fanfare ramène les financements qui permettent d’offrir des moments de pause aux étudiants », note Manon. Baptisée Les Chiures de mouches en 1981, elle est née en 1964. « Chacun reste plus ou moins longtemps, en fonction de son talent et de son envie, mais cela permet de créer des moment uniques et improbables, comme se retrouver en backstage avec Marcel et son Orchestre et les Fatals Picards, cette année lors du festival Marché Gourmand de Niort. C’est la magie de l’Ordre ! »
Facebook Chiures de mouches
Des Bitards connus
« L’Ordre s’est enrichi de toutes les personnalités qui l’ont traversé, comme Tony Lainé (ndlr, psychiatre et psychanalyste français) qui a été Grand Bitardier. Dès l’origine, c’était un Ordre qui affichait un côté paillard mais dont le côté libertaire était plus fort encore », note Manuel Segura. Beaucoup d’anciens Bitards sont devenus universitaires, certains ont prolongé dans la politique comme l’ancien maire de Poitiers Jacques Santrot (1977-2008), mais aussi Michel Crépeau, maire de La Rochelle (1971-1999), Robert Bigot, maire de Parthenay (1937-1939 et 1945-1953), Gérard Boutet, ancien élu de Parthenay, ou encore le politologue poitevin Dominique Breillat. Parmi les membres d’honneur, on trouve des personnalités comme Boby Lapointe, venu chanter en 1968 lors de la Semaine estudiantine, ou encore Georges Brassens.
La table des géants
Sept mètres de long, neuf pierres en guise de pieds à l’origine, le dolmen de la Pierre-Levée, à Poitiers, est aussi baptisée « table des géants ». Chaque année, lors de la semaine estudiantine, l’Ordre du vénéré Bitard (LST !) y organise un pique-nique… gargantuesque.
La chasse au bitard
Comme ses cousins darou et autre dahu que l’on trouve dans d’autres régions de France, le bitard est un animal mythique, qui vivrait en forêt de Ligugé. En 1950, Yvan Gallé a immortalisé dans une fresque visible sur un mur du restaurant universitaire Roche-d’Argent, à Poitiers, la fameuse « chasse au bitard » menée chaque année par les étudiants.
Blanche Verge et les étudiants
Voilà plus de cinquante ans qu’elle se dresse sur le campus de l’université de Poitiers, à proximité de la résidence universitaire Rabelais. La Blanche Verge de l’Ordre des Bitards, refaite à neuf en 2016 à la suite de travaux qui avaient détruit la version précédente, serait même inscrite au cadastre. Pesant près d’une tonne, elle est équipée d’un tuyau qui lui permet de faire jaillir bière ou rosé. Mais uniquement pour les grandes occasions !
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Ludovic Gicquel. 51 ans. Chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au centre hospitalier Henri-Laborit, à Poitiers. Fait référence à l’échelle nationale. Maritime de naissance, attaché à ses racines. Signe particulier : s’est promis de décrocher son CAP de pâtissier avant sa retraite.