« Voilà » et autres tics de langage

Une équipe de chercheurs internationaux pilotée depuis Poitiers a publié une étude complète sur la polysémie du mot « voilà » qu’on utilise à toutes les sauces. Une façon de mieux comprendre comment se développent les tics de langage.

Romain Mudrak

Le7.info

Le sujet pourrait paraître anodin. Certains mots font tellement partie de notre vocabulaire qu’ils finissent pas « disparaître ». On les répète chaque jour sans s’en rendre compte avec des amis, en famille ou en public, en début de phrase, au milieu ou en guise de ponctuation. Le meilleur exemple ? « Voilà ». Des chercheurs du laboratoire poitevin FoReLLIS (Formes et représentations en linguistique, littérature et dans les arts de l’image et de la scène, environ 90 personnes) ont piloté une étude internationale très sérieuse sur les fonctions de cet adverbe qu’on emploie à tort et à travers. A l’origine de ces travaux, Gilles Col. Forcément aux aguets sur tous les tics de langage, le professeur de linguistique cognitive a été surpris de constater à quelle fréquence ses collègues utilisaient « voilà » au cours de leurs réunions communes. Et le constat a très vite été partagé en dehors de la fac !


Le stress multiplie 
les « voilà »

« Etymologiquement, ce mot vient de vois, l’impératif de voir, et de là, explique l’expert. Mais aujourd’hui, il est utilisé pour structurer la navigation dans le dialogue, comme une balise. « Voilà » sert à ancrer des éléments d’information afin de passer à une autre chose. » Avec une doctorante, Charlotte Danino, le responsable de l’équipe « Discours et Cognition » a élaboré une vraie méthode scientifique. Ensemble, ils se sont basés sur des extraits d’émissions télévisées comme TéléMatin, des articles de journaux, des classiques de la littérature, un corpus de textes tirés de la base de données Frantext. Ils se sont aussi appuyés sur des mises en situation comme une partie de Tangram, durant laquelle un joueur devait faire deviner sa figure à un autre dans un temps donné. « On s’est ainsi aperçu qu’en pressant les individus à travers un compte à rebours, le nombre de 
« voilà » augmentait avec le stress », raconte Gilles Col. Mieux vaut donc prévoir des notes quand on parle en public !


Mimétisme

Hochement de tête, regard détourné, la gestuelle qui accompagne le « voilà » démontre que ce mot est là pour structurer le discours et appuyer un argument. Il a son équivalent en espagnol avec « vale », tandis que les Québécois lui préfèrent « c’est ça ». Nos Poitevins ont mobilisé des linguistes de plusieurs pays pour qu’ils apportent leur pierre à l’édifice. L’usage du « voilà » ne faiblit pas au fil des années, contrairement à d’autres qui répondent davantage à des phénomènes de mode. « « C’est clair », « Y a pas de souci », « juste », « grave », « carrément » sont des tics de langage. Difficile de savoir comment ils apparaissent mais ils se propagent beaucoup par mimétisme au sein d’une même génération. » Sans parler du célèbre « ok » utilisé à l’oral dans une quantité astronomique de langues. On a même vu apparaître le verbe « okayer » ! Gilles Col vient de publier un article sur le sujet dans la revue Lexique, à retrouver gratuitement en ligne. Voilà...

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