Aujourd'hui
Les Soirées lyriques devaient se dérouler cette semaine à Sanxay. Mais le contexte sanitaire a eu raison de ce festival qui accueille chaque année près de 10 000 spectateurs. En ville, l’ambiance n’est pas la même. Mais qu’importe, les bénévoles ont décidé de se retrouver quand même pour faire un « grand ménage ».
La cuisine est terminée. « Venez voir le résultat ! », propose Jean-Marie en poussant vigoureusement la porte du bureau où plusieurs bénévoles sont attablés. Avec Gilles, Dominique et d’autres, ils ont posé du lino, « gratté les murs », nettoyé et installé un grand vaisselier en bois récupéré… Le changement est flagrant. « C’était nécessaire, on ne pouvait même pas laver un verre avant », ironise Martine, arrivée depuis un an. A Sanxay, l’été est l’occasion de bricoler. Même privés de leur festival, annulé en raison du contexte sanitaire, les bénévoles des Soirées lyriques se réunissent tous les jeudis pour remettre en ordre leur quartier général.
« Depuis 20 ans, à chaque fin de festival, on entasse dans tous les coins, explique Hélène, vice-présidente. Cette année, pour ne pas perdre les bénévoles, j’ai proposé de faire un grand ménage. Du coup, on est là tout l’été. » A coup sûr, son expérience d’ex-principale de collège est un atout en termes d’organisation. « On n’avait jamais fait l’inventaire des stocks. Dans certaines salles, on ne pouvait pas entrer. Donc maintenant on trie, on range et on jette ce qui est inutile. » Dans l’ancienne école privée Saint-Gabriel, désormais propriété de la municipalité, il y a de quoi faire. Depuis quelques jours, Marie Kohler, la nouvelle chargée de production, arrivée l’an dernier, a désormais son bureau à elle, meublé pendant le déménagement du palais de justice de Poitiers… Les décors des spectacles précédents occupent le grenier (et d’autres hangars en ville). « La pile de matelas là-bas a servi pour Tosca en 2018, raconte Hélène en poursuivant la visite. Dans une scène elle devait tomber d’une tour. René Gibault, notre vice-président avait testé le dispositif, histoire que l’artiste ne se fasse pas une entorse. »
Besoin de se retrouver
Dans une autre salle désormais dégagée, on peut apercevoir les costumes de La Flûte enchantée, jouée sur la scène du grand site gallo-romain en 2017. « C’est la seule fois où nous les avons confectionnés, sinon nous les louons et les ajustons », souligne une autre Hélène, couturière en chef. Le souvenir des centaines d’habits suspendus en temps normal dans la salle principale lui manque. Comme à tous. « Il fallait qu’on trouve quelque chose à faire ensemble cet été, sinon cela aurait été trop long », confirme Laëtitia, embrigadée par sa mère Claudie. Elle-même a embarqué sa fille Cassandre, dès son plus jeune âge. Toutes les trois sont là depuis le début du festival, en 1999. Aujourd’hui, cette dernière a ramené des petits choux meringués à la crème de citron pour le déjeuner que tout le monde partage. « Non seulement, j’aime l’ambiance mais j’adore l’opéra. Quand j’étais petite, je m’installais derrière la porte de la chambre des choristes qui dormaient à la maison et je les écoutais répéter », relate la jeune élève du lycée hôtelier Kyoto à Poitiers.
« On aimait bien entendre les choristes chanter dans le magasin »
C’est l’une des originalités des Soirées lyriques. La plupart des chanteurs sont logés chez l’habitant. Certains restent même trois semaines, voire un mois. Evidemment, l’atmosphère à Sanxay n’est pas la même cette année. « On aimait bien les entendre chanter dans les allées du magasin », s’enthousiasme Karine Vergnaud, la gérante de la Coop, qui adapte les horaires de la seule épicerie du village pour coller aux répétitions. Sur le volet économique, l’annulation du festival engendre inévitablement un manque à gagner. Que ce soit les sandwichs, hot dogs, boissons vendus au public ou le ravitaillement des bénévoles, techniciens et artistes, la Coop est le premier fournisseur des Soirées lyriques. Toutefois, la crise sanitaire a eu un effet inattendu : « Beaucoup de gens ne sont pas partis en vacances ou moins longtemps, constate la commerçante. Certains ont annulé leur voyage à l’étranger et d’autres sont venus à Sanxay pour profiter de la base de loisirs parce qu’il a fait beau. Résultat, on a fait un bon mois de juillet. » Et août semble tiré du même tonneau. Avec Fabrice, son mari, ils ont prévu de s’octroyer une semaine complète de vacances à la fin du mois, contre deux ou trois jours d’habitude. Constat identique pour Christelle Buffet, agent du Centre des monuments nationaux, qui a fait visiter le site gallo-romain de Sanxay à des centaines de personnes en juillet. « Les sites de plein air sont privilégiés par les touristes. Malheureusement, nous n’avons pas pu maintenir les ateliers familles à cause du Covid-19. »
Pendant ce temps-là, une vingtaine d’heureux retraités continuent de s’affairer dans la bonne humeur au « QG » des Soirées lyriques. Beaucoup n’ont malheureusement pas répondu à l’appel. Las… Les travaux de force sont réservés aux hommes, on ne se refait pas ! Mais pour combien de temps ? « J’ai 74 ans, et mes petits camarades ne sont pas loin de ça, s’inquiète Jean-Marie, aussi président de l’école de musique de Vivonne. J’ai l’impression que le mouvement associatif intéresse moins les jeunes. Mais ici, beaucoup de choses sont faites par des bénévoles. Si on devait les confier à des entreprises, on boirait le bouillon. » C’est pourquoi l’équipe espère retrouver toutes les forces vives, en 2021, pour Carmen.
Retrouvez tout le reportage en images.
Christophe Blugeon et son équipe ont choisi Carmen de Bizet pour l’édition 2021 des Soirées lyriques de Sanxay. « C’est une valeur sûre qui marquera la renaissance du festival l’été prochain, commente le directeur artistique. Cette œuvre, dans sa version traditionnelle et populaire, correspond bien à notre volonté de sensibiliser un large public à l’opéra. Côté pédagogie, nous interviendrons aussi dans les écoles pour créer un chœur d’enfants qui participera au spectacle. » En attendant, plusieurs solistes, qui seront au casting en 2021, ont réservé une surprise aux fans des Soirées lyriques. Ketevan Kemoklidze, Azer Zada, Charlotte Bonnet, Marina Viotti ou encore Florian Sempey, star international dont la carrière a explosé après son interprétation de Moralès dans le Carmen joué à Sanxay en 2011, se sont enregistrés à la maison. Ces vidéos, suivis de quelques mots de remerciement, seront postées à fréquence régulière dès la semaine prochaine, et jusqu’à la mi-septembre. Au fait, savez-vous que Carmen a déjà été interprétée quatre fois sur le site gallo-romain de Sanxay ? Trois fois sous la direction de Christophe Blugeon et une autre par la troupe de l’opéra de Bordeaux en… 1933.
À lire aussi ...