Aujourd'hui
Marie Bourgoin, 58 ans. L’une des fondatrices de la Fanzinothèque de Poitiers. Femme des années 80, anarcho-punk dans l’âme et par conviction. Grande lectrice, elle aime cultiver son jardin et préfère le silence aux débats.
Elles les connait, les comprend, sait comment les apprivoiser même lorsqu’ils viennent de Norvège ou du Japon. Les fanzines, graphzines et autres zines n’ont pas de secret pour Marie Bourgoin. Ou alors pas longtemps. Après plus de trente années à recueillir et classer des bandes dessinées underground venues du monde entier, la documentaliste de la Fanzinothèque de Poitiers est devenue « la mémoire vivante» du lieu. Dixit son directeur Guillaume Gwardeath. Mais « je n’en ai pas chez moi ! », se défend la fan de 58 ans jamais lasse, pourtant, de les retrouver. « Il y a un tel éclectisme, on peut passer du coq à l’âne, j’apprends tout le temps des choses. »
A la demande des éditions Gallimard, Marie Bourgoin en a compilé une partie dans Fanzinorama, sorti début novembre (*). « A chaque fois, je suis épatée par la beauté des documents, je les connais depuis longtemps, ce sont mes enfants », glisse-t-elle, entourée de cette grande famille qu’elle a fondée en 1989 avec son ex-mari, Didier Bourgoin.
« La Fanzinothèque, c’est aussi l’histoire d’une époque. » Celle des années 80’s. « C’est typiquement un discours de vieux cons, sourit-elle, mais je trouve que c’était mieux avant. Peut-être aussi parce que c’étaient mes 20 ans... » Et puis « on ne se posait pas de questions sur l’avenir, on n’avait aucune idée de carrière, on faisait des études pour le plaisir. Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de voleter."
Après avoir découvert Montaigne, la jeune Poitevine, aînée d’une famille de quatre enfants, a choisi la philo. « J’ai compris en deuxième année de terminale qu’il fallait bosser. Apartir de là j’ai tout aimé ! » A l’époque, pour la musique, il y avait la radio. La nuit, elle écoutait « Les Routiers sont sympas », sur RTL. Faute de mieux. « Le samedi matin, il y avait aussi « L’Echo des bananes » à la télé. »
Les radios libres, une révolution
« En 1981, Mitterrand a libéré les ondes. J’étais en terminale quand Pulsar, la première radio libre, a été lancée sur Poitiers depuis les Feuillants, grâce au père Cateau. Il était extraordinaire, on l’appelait le Boss. Puis d’autres radios sont apparues, dans les maisons de quartiers. C’était important car c’était la seule façon que l’on avait d’écouter des sons nouveaux. Et des groupes locaux. » Notamment le rock alternatif, qui tranchait avec les Jean Ferrat, Michel Sardou et autres chanteurs de cette « variété des années 70’s » avec laquelle elle avait grandi. « Quand on avait 14 ans, on n’allait pas au concert. Le premier auquel je suis allée, c’était Yves Duteil. J’ai honte... ». L’ « anarcho-punk dans l’âme et par conviction » évacue rapidement ce souvenir. « Le mouvement punk a amené une vraie effervescence. Quand on ne montait pas un groupe, on créait un label, on faisait de la radio, on sortait des fanzines à la photocopieuse... On faisait tout, on savait tout faire ! »
En 1985, avec la guitare sèche achetée avec sa première paie, elle s’invente guitariste et crée avec trois copines Oleum Perdisti. « C’était un groupe punk féminin. On avait trouvé le nom dans les pages roses du dictionnaire mais on n’avait pas été fichues de recopier le mot correctement (ndlr, oleum perdidisti). On a fait un seul concert. »
« Je me restreins à l'essentiel. »
Par la musique, Marie Bourgoin est arrivée aux fanzines. La rencontre a eu lieu en juin 1983, grâce à OH, l’association l’Oreille est hardie à l’origine du Confort moderne. « Dans une tentative d’auto-sabordage, l’OH avait organisé un énorme festival, plus de trente-cinq concerts sur un week-end entier, avec des groupes aussi connus que Killing Joke. Sous l’impulsion de ce festival, on a eu envie de faire plus qu’une émission de radio. » Marie Bourgoin et son ex-mari, disquaire, ont édité un fanzine, Laocoon, du nom d’une statue grecque antique. « Cela n’avait rien à voir avec le contenu mais l’idée était de sortir des choses hyper-érudites », convient-elle avec une pointe de dérision. Dans cette nouvelle aventure, elle se retrouve préposée aux chroniques littéraires.
« J’ai toujours été une grande lectrice, de polars, de science-fiction... Et de livres sur la préhistoire. Là, je vais me replonger dans Tolkien, j’en ai pour plusieurs mois ! » De quoi patienter jusqu’à la belle saison et le retour à son cher jardin.
Maman de cinq enfants, âgés de 16 à 35 ans, Marie Bourgoin se tient désormais loin de l’agitation, fût-elle culturelle. « Je suis assez casanière. J’aime la solitude, les puzzles, les mots croisés... » Et comme elle est « assez radicale », même les concerts du Confort moderne, pourtant si proches, ne la tentent plus. « Les bruits, les lumières, être debout dans le noir... Je ne me contrains pas. Parfois, si un groupe m’intéresse, je vais passer une oreille pour une, deux chansons, confesse-t-elle. Je me restreins à l’essentiel. » Une constance vis-à-vis de son éducation catholique, « mais pas catho bourgeois ». Elle cherche le mot juste. « Mon père était instituteur, alors plutôt catho petit-fonctionnaire. »
« Simplicité, frugalité, humilité, ouverture... » sont des mots qui continuent de lui parler. Même si elle hésite un peu à l’avouer, elle a toujours été une catholique pratiquante au coeur de la culture anarcho-punk. Sur ce sujet comme sur d’autres, son silence est sa meilleure défense. « Je n’aime pas les discussions. En général je me fais moucher car je n’ai pas de répartie. Je m’inscris plus sur le long terme. C’était aussi le cas de Voltaire... »
(*) Marie Bourgoin sera en dédicace au festival de la Bande dessinée d’Angoulême le 1er février et membre du jury de la BD alternative.
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