Aujourd'hui
Earvin Ngapeth. 24 ans. Volleyeur professionnel. Formé sur les bancs du CEP-Saint-Benoît et Poitevin dans l’âme, le joueur vedette de l’équipe de France a suivi une ascension fulgurante vers les sommets de la reconnaissance internationale. Au pays des Lumières, il n’est que la star d’un sport anonyme.
Comme un ultime acte d’exubérance, il a libéré son venin dans un rugissement à faire peur. L’équipe de France vient de terrasser la République Tchèque (3-0). Pour les Bleus, la Ligue mondiale se poursuit sans fausse note. Pour Earvin Ngapeth, elle n’est que péripétie sur le chemin de toutes les conquêtes.
Deux jours plus tôt, dans un hôtel du Futuroscope. Le fer de lance de l’attaque tricolore, jugé par nombre de ses pairs comme l’un des trois meilleurs réceptionneurs-attaquants d’Europe, sourit à pleines dents à la vie. Hier encore, le natif de Fréjus, débarqué à Ligugé à l’âge de 7 ans, se perdait dans une rhétorique approximative et une nonchalance déconcertante. C’était hier. Ngapeth l’épidermique a changé. « J’ai simplement compris qu’il fallait que je prenne des cours de communication. »
L’aveu, livré dans un éclat de rire, renvoie à l’année 2010 et à ses premiers pas sous le maillot frappé du coq. Longtemps, les attachés de presse de la sélection ont prié les plumitifs d’éviter le sujet en interview. Earvin passe outre. « C’est l’épisode le plus douloureux de ma carrière, assume-t-il. J’étais un jeunot de 19 ans un brin fougueux. Mon statut de remplaçant en équipe de France et certains comportements dans le groupe m’ont irrité. Et j’ai pété les plombs. »
L’Anelka du volley ?
Une prise de bec avec le sélectionneur de l’époque, Philippe Blain, a alors raison de son maintien dans l’effectif. Viré! « On a rapporté tout et n’importe quoi sur cette histoire, poursuit l’impétueux. Au final, on m’a fait passer pour un sale mec, un prétentieux, m’attribuant le surnom d’« Anelka du volley », alors que je revendiquais juste le droit de récolter le fruit de mon travail et de mon investissement. Le plus dur, dans cette affaire, a été de supporter la fausse image qu’on renvoyait de moi et le mal qu’on faisait à mes proches. A ma mère surtout. »
Christine, cette mère qu’il aime tant mais qu’il « n’appelle pas assez », dit de son rejeton qu’il est « solaire ». C’est tellement vrai ! Dans son immense sourire comme dans l’expression générale de ce grand échalas d’1,94m se dégage une aura naturelle. Son look ajoute à l’originalité du personnage. « J’ai eu le crâne rasé, la crête, les cheveux multicolores. Là, je me suis fait pousser la barbe. Ce n’est pas pour me démarquer, mais simplement parce que je fonctionne à l’inspiration, au coup de cœur. »
Avant le rendez-vous de Lawson-Body, maman lui avait demandé de la tailler, cette fichue barbe. Earvin s'est exécuté, rompant avec l'image d’enfant « contrariant » qu'il était. « Dissipé, mais pas belliqueux », recadre la mère. «Disons que je n’aimais pas l’école et que je trouvais toujours le moyen de n’en faire qu’à ma tête. Renaudot, Saint-Stan… Je dois les connaître tous les collèges de Poitiers.»
Earvin n’a pas de diplôme, son destin de sportif en a décidé ainsi. Son bac ? Il l’a séché, alors même que sa carrière au plus haut niveau venait de commencer, au Tours VB, dirigé par son ex-international de père, Eric, champion de France à la tête du Stade poitevin, en 1999.
« Il est normal que mon père m’en veuille »
Un père ? Bien davantage. Une figure tutélaire. Un guide. Celui qui a choisi son prénom, en hommage à son idole de l’époque, le basketteur Earvin « Magic » Johnson. « Celui qui m’a tout appris sur le volley, ses ficelles, les déviances du milieu. » Eric Ngapeth, le mentor avec lequel, aussi, il s’est brouillé pendant plus d’un an. « En 2013, j’ai signé pour le club sibérien de Keremevo, que coachait mon père, rappelle l’ancien prodige du CEP-Saint-Benoît. On souhaitait tellement reformer le tandem qu’on a manqué, l’un et l’autre, de lucidité sur la viabilité du projet. Après la naissance de mon fils, en novembre 2013, j’ai vu les choses différemment. L’idée de laisser ma femme seule avec le petit, à des milliers de kilomètres, est devenue insupportable. En janvier, j’ai décidé de ne pas repartir. Je sais qu’au fond de lui, mon père a compris, mais il n’a pas accepté. Il est normal qu’il m’en veuille. Même si nous avons retissé des liens depuis peu, je sens que la cicatrice n’est pas totalement refermée. »
Un titre en bleu
Au faîte de la confession, Earvin lâche du lest. Poursuivant sur le triste souvenir d’un premier semestre 2014 également marqué par l’inscription de son nom dans la rubrique judiciaire, pour une sombre histoire de bagarre à la sortie d’une discothèque, et une vilaine blessure à l’épaule, qui le priva de la Ligue mondiale estivale. «Heureusement que la suite a été plus souriante.»
Et comment ? Depuis neuf mois, l’ancien parolier du groupe de rap poitevin « B14 » marche sur l’eau. Monumental avec la sélection tricolore aux « Mondiaux » polonais de septembre, où il faillit porter les siens vers la finale, il a enchaîné sur une saison pleine avec son club de Modène, décrochant la coupe d’Italie et la finale du championnat. «Tout va bien pour moi, lâche Earvin. J’ai une chérie et un enfant formidables, je vais jouer la Ligue des Champions et, avec les Bleus, j’ai de très hautes ambitions. Je pense d’ailleurs que seul un titre de la sélection fera que les volleyeurs français seront reconnus dans leur pays, alors qu’ils rayonnent à travers la planète.» Un titre ? Plus qu’un espoir, une promesse, pour laquelle la « star de l’ombre » n’a pas fini de rugir.
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