Jean-François Fort, photo sensible

A nouvelle saison, série inédite dans les colonnes du « 7 ». La rédaction s’intéresse à ces Poitevin.e.s qui œuvrent en coulisses au service des autres, sans autre reconnaissance que la satisfaction d’améliorer la vie de leurs contemporains. Premier volet avec Jean-François Fort, photographe (amateur) humaniste.

Arnault Varanne

Le7.info

C’est ce qu’on appellera entre nous l’armée des ombres. Des fourmis aussi discrètes qu’efficaces dans une société par trop individualiste. Ils et elles préfèrent l’anonymat du quotidien aux colonnes des médias. Ils et elles s’accomplissent davantage dans la quête du bien-être collectif que dans une recherche effrénée de gloriole égoïste. Premier de cordée : Jean-François Fort. 56 ans. Infirmier psychiatrique la nuit. Photographe de l’humain le jour. Un temps -que les moins de 20 ans....-, le natif de Château-Larcher a espéré embrasser la carrière de reporter compulsif. Mais l’ancien pensionnaire de l’école de photo de Nîmes a préféré garder sa madeleine de Proust en réserve de la République.

Le voilà sorti de sa réserve naturelle « à cause » de son attention aux autres. Et en particulier aux quarante-neuf migrants « de » Poitiers, dont il vient de tirer le portrait et de recueillir l’histoire chaotique. Sans jugement. Sans mise en scène. De manière brute. « Faire cela, c’est sans doute une façon de donner du sens à ma vie, de faire en sorte que mon existence soit moins stupide. Ce projet, j’y pensais depuis longtemps. J’ai pris contact avec le laboratoire Migrinter, qui m’a donné des coordonnées d’associations d’aide aux migrants. » Jean-François Fort « s’efface » volontiers derrière ses modèles charriés par la guerre et la misère. Il laisse « le pouvoir de la photo » opérer. Un projet d’expo, en partenariat avec la Ville, l’université et l’Espace Mendès-France, pourrait voir le jour « à l’automne ».

Au Bangladesh pour témoigner

Mais l’infirmier psy, par ailleurs père de deux grands enfants (23 et 19 ans), ne se contente pas de poser son regard humaniste sur les gens d’ici. Voyageur dans l’âme, il promène son boîtier dans des contrées peu fréquentées par les touristes français. Au Bangladesh, à l’automne 2016, il a ainsi photographié -entre autres sujets- les « vies brisées du Rana Plaza ». Des hommes et des femmes touchés par l’effondrement, à Dakha la capitale, d’un immeuble où l’on fabriquait des millions de vêtements dans des conditions sordides. 1 138 morts à l’arrivée et autant de mutilé.e.s. « Je voulais voir leur lieu de vie, la façon dont ils se reconstruisent. » Sur place, Jean-François Fort a reçu le soutien de l’association « GK », avec laquelle il a préparé sa mission depuis la France.  « Je ne voulais pas y aller les mains dans les poches et il se trouve que l’association compte des soutiens en France. »

Le résultat de son travail tout en retenue avait été présenté en février, sur la place Leclerc. Tel un lanceur d’alerte, le Poitevin a choisi de retourner au Bangladesh, à l’automne prochain. Car le réchauffement climatique conduit de plus en plus de Bangladais vers la capitale et menace les équilibres socio-économiques. « On est sans doute plus responsable qu’eux de la situation, mais ils en subissent toutes les conséquences », observe-t-il. Sa « goutte d’eau dans l’océan » de la dénonciation se traduira sans doute par des clichés partagés. C’est le sens de son travail de l’ombre : mettre en lumière ceux qui souffrent et n’ont rien. Un héros du quotidien, en somme.

Frédérique Bedos, l’inspiratrice
Journaliste, ancienne animatrice télé et radio, Frédérique Bedos a lancé, depuis 2010, un projet nommé Imagine. L’objectif de son ONG consiste à faire prendre conscience aux gens de la nécessité de « sauver non pas le monde, mais la beauté du monde ». « Comment ? En mettant en lumière, au moyen de films-portraits, des personnes qui, dans l’ombre, accomplissent au quotidien des actions formidables au service des autres. Ces héros anonymes incarnent des valeurs d’engagement, de générosité et de dignité et nous donnent envie de les incarner à notre tour ! », résume-t-elle. Rendons à César, ou plutôt à Frédérique Bedos, ce qui lui appartient… 
 

Des portraits à découvrir
Les quarante-neuf portraits de migrants réalisés par Jean-François Fort sont à découvrir sur 7apoitiers.fr dès la rentrée. Chaque lundi, la rédaction vous dévoilera l’un de ces hommes et femmes arrivés à Poitiers par des voies souvent détournées.

 

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