Aujourd'hui
Widy Grego. 52 ans. Des bas-fonds de Sainte-Anne aux sommets du trail, le Guadeloupéen se raconte dans une biographie aussi sensible que débridée. Le fils de paysan, en transit à Poitiers, s’apprête à repartir sur son île, dans l’espoir d’y apporter un souffle nouveau.
Le plus souvent, il trimbale sa drôle de silhouette filiforme et rastafari dans la Grand-Rue. C’est là, dans un modeste studio, qu’il a élu domicile à des milliers de kilomètres de son repaire. Widy Grego. Un prénom et un nom qui ne laissent personne indifférent. Une allure, aussi. Le petit milieu de la course à pied connaît par cœur les foulées de ce surdoué du trail, capable de remporter la Jungle marathon, la TransMartinique, le Guadarun, mais aussi de s’aligner au départ de courses plus modestes…
Le bonhomme est souriant, avenant, prévenant. En un mot, épatant. D’autant qu’il a eu la riche idée de franchir le rubicond de l’introspection. Dans « Ma vie en diagonale », Widy se met à nu, détricote le fil de son existence. Son récit autobiographique se mêle avec bonheur au carnet de voyage de sa… « Diagonale des fous », édition 2013. À plusieurs reprises, le troisième d’une fratrie de neuf évoque sans retenue sa prime condition sociale. Cette famille pauvre de neuf enfants, qui n’aurait dû le conduire que « sur le chemin de l’alcool et de la drogue ». Extraits : « Je n’étais encore qu’un enfant quand j’ai dû faire face, pour la première fois, à ce sentiment d’exclusion qui a jalonné une grande partie de ma vie d’homme. Pour beaucoup de personnes, la misère est synonyme de marginalisation… »
Sept ans d’exil chez les rastafari
À dire vrai, Widy s’est battu toute sa vie contre la fatalité. Mais il aurait pu aussi lâcher prise devant la sclérose de la société guadeloupéenne. A l’école de foot de Sainte-Anne, en classe, au sein de la troupe de théâtre de l’Office municipal de la culture et des sports… A chaque fois, la même histoire. « Dès que tu entres dans la cour des grands, on te ramène à ta condition. Etre pauvre, c’est comme une condamnation ! » Le récit est touchant, jalonné d’anecdotes rocambolesques. Entre culture du manioc et cordonnerie, petits jobs et grandes échappées solitaires, le Guadeloupéen n’a jamais sombré, avec une force de caractère qui mérite le respect.
En 91, sur l’île, peu de gens ont compris son exil de six ans dans une communauté rastafari. Ce fut pourtant un « retour aux sources », comme une purge salvatrice d’un passé tourmenté. « Le rastafarisme a une vraie signification. J’ai mené une vie saine, quasi-monacale. J’en suis sorti tellement plus fort ! » A sa sortie de la communauté, certains de ses proches ne l’ont même pas reconnu. Ses dreadlocks et sa longue barbe ont fait jaser à Saint-Anne. Qu’importe le regard des autres, lui avait trouvé sa raison d’être. D’une certaine manière, la course à pied a constitué son deuxième point d’équilibre. À 52 piges, après une décennie (2004-2014) d’épreuves à succès et une notoriété à l’avenant, Widy a pourtant décidé de « se poser ». Le 28 novembre, au côté de sa compagne Jackye, l’ultra-trailer s’envolera vers Pointe-à-Pitre.
Il refermera une parenthèse poitevine de trois ans, plus riche d’une double formation d’éducateur sportif et en tourisme vert. Son grand projet consiste à ouvrir un « glamping » à l’horizon 2017, tout en assurant la promotion du sport nature sur l’île. « Là-bas, on considère encore que le trail est un sport de blancs. Je veux changer cette image et permettre aux jeunes de s’élever. »
Dans son ouvrage, Widy évoque sans concession le racisme, les racines de la pauvreté, la bataille autour de la langue en Guadeloupe… Avec souvent des prises de position iconoclastes. Il assume son affranchissement aux règles de bienséance et avoue « ne pas avoir peur de l’accueil qu’on lui réservera ». Widy dérange (un peu) parce qu’il secoue le cocotier des clichés. Il laisse à d’autres la diagonale du flou.
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