Piano et sano

Depuis plusieurs mois, la gare de Poitiers héberge un piano dans son hall d’accueil. Le multiinstrumentisme Pierre Boucheron l’a testé pour nous. Ambiance garantie en milieu de matinée…

Elle passe ici régulièrement, mais n’avait jamais aperçu le piano Yamaha, niché derrière l’immense vitre du hall de la gare. Les premières notes l’ont fait s’arrêter à notre hauteur, le sourire large comme ça. À 10h19, Julie doit embarquer dans un TGV direction Paris, sa nouvelle ville. Raison de plus pour écouter « notre » maestro quelques secondes. Pierre Boucheron, 84 ans, s’est prêté de bonne grâce au test-du-piano-en-milieu-hostile. Une boutade, bien entendu, tant l’initiative de la SNCF réjouit mélomanes et voyageurs. Le premier constat de ce multiinstrumentiste chevronné tombe tel un couperet. « Il sonne faux comme un jeton ! Vous entendez ? » À dire vrai, la dissonance ne saute pas aux oreilles, mais on fait confiance à ce trompettiste chevronné et pianiste d’excellent niveau. Pas fâché pour un sou, Pierre Boucheron entame un corps à corps avec « l’instrument roi ».

Trois lycéen(ne)s, trop timides pour s’asseoir sur le tabouret, engagent la discussion. « Vous êtes professionnel monsieur ? Non, on ne joue pas, c’est juste pour s’amuser… » Le ballet des curieux s’étend à l’ensemble du hall. L’ancien chef d’orchestre enchaîne bolero, « Une histoire d’amour », le beau Danube bleu de Strauss… Que des airs connus et réjouissants. Il flotte dans l’air comme un parfum d’insouciance, tout juste perturbé par les annonces de l’arrivée en gare du Paris-Bordeaux de 10h38.

« Je ne prends jamais le train ! »

Pierre Boucheron est comme un poisson dans l’eau et son pied bat la mesure. Quelques applaudissements ponctuent sa dernière prestation. « Moi qui ne prends jamais le train, je trouve l’idée vraiment originale et marrante ! » Les usagers acquiescent. Depuis qu’il a atterri dans le hall, au printemps dernier, le bel objet suscite la convoitise des musiciens avertis. « Surtout le midi et le soir, où c’est plus calme, confirme Frédéric Matha, directeur des gares du Poitou-Charentes. Certains viennent même avec un saxophoniste ou des interprètes qui chantent a capella. De jolis moments improvisés naissent ainsi… Le niveau est impressionnant. » L’ancien tenancier du poste -un piano de moins bonne qualité- a atterri à Rochefort.

En dépit d’une forte exposition à la chaleur et à l’humidité, le modèle Yamaha ne souffre d’aucune rayure. « Excepté au moment d’une intervention de la police ferroviaire, qui avait renversé l’ancien piano, nous n’avons constaté aucune dégradation. » À croire que la musique adoucit les moeurs, pour « de vrai ». La SNCF a d’ailleurs lancé un grand concours intitulé « A vous de jouer », dans toute la France. Le principe ? Vous vous faites filmer, envoyez la vidéo, avec une chance (sur quelques milliers) de remporter un vrai piano. Accordé, cela va de soi…