Cette fin de vie qui divise

Chargé de réfléchir à une nouvelle loi sur la fin de la vie, avec Jean Léonetti, le député-maire de Poitiers Alain Claeys marche sur un fil. Entre les affaires Lambert, Bonnemaison et le poids des lobbies, sa mission relève de l’équilibrisme.

Arnault Varanne

Le7.info

Les souvenirs sont intacts, comme gravés à jamais dans sa mémoire. Joëlle Clément a perdu son mari à l’automne 2011, des suites d’une longue maladie. Atteint d’un cancer du colon, Didier s’était déjà fait opérer deux ans plus tôt. Las… Le « crabe » l’a terrassé, après de longs mois d’une « souffrance psychologique extrême ». « En février, on lui avait dit qu’il n’en avait plus que pour deux semaines. Il est décédé fin octobre. À l’époque, j’aurais aimé que l’on respecte sa volonté d’en finir au plus tôt. Cela n’a pas été le cas, même si je reconnais que les personnels en charge des soins palliatifs ont été extraordinaires », regrette son épouse. Son hospitalisation à domicile n’a fait qu’ajouter à la complexité de la prise de décisions.

À l’heure où la France se déchire autour du cas Vincent Lambert, ergote sur le sens du jugement du docteur Bonnemaison, le député PS de la Vienne Alain Claeys vient de se voir confier une mission parlementaire, au côté de son collègue Jean Léonetti (UMP). Le même dont la loi éponyme de 2005 est aujourd’hui jugée « incomplète »« Avec mon collègue, nous sommes d’accords sur le fait de la faire évoluer », esquisse le maire de Poitiers. À ses yeux, quatre grandes questions doivent émerger des débats à venir, sachant que les propositions doivent parvenir sur le bureau du Premier ministre, au plus tard le 1er décembre prochain. « Il faut mieux faire connaître le principe des directives anticipées et les généraliser », estime le député.

Un droit à la mort ?

« Le législateur doit surtout les rendre contraignantes », embraye Françoise Casado, déléguée départementale de l’ADMD 86. Chaque personne majeure a ainsi la possibilité de faire une déclaration écrite, précisant ses souhaits quant à sa fin de vie. Ce document est valable trois ans, renouvelable, révocable à tout moment et vous pouvez désigner un tiers de confiance susceptible de les faire appliquer. « Dans l’affaire Lambert, si un tel document avait existé, nous n’en serions pas là… », ajoute Mme Casado. Mais le débat autour du « droit à la mort » recouvre bien d’autres notions d’une complexité extrême. Comme, par exemple, la limite de ce que l’on appelle l’obstination déraisonnable ou acharnement thérapeutique. Une notion « à revisiter », selon Alain Claeys. Le parlementaire entend également questionner la société sur les traitements à visée sédative -laisser mourir ou faire mourir ?- ou encore le suicide assisté. Jean Léonetti ne veut pas entendre parler. Et les Français dans leur ensemble sont divisés sur ce dispositif en vigueur en Suisse ou dans l’Oregon (USA).

Parce que « chaque mort est singulière », le futur cadre législatif ne manquera pas de s’attirer des critiques de toutes parts. Car le texte mettra de facto en lumière d’autres sujets brûlants, tels que les conditions d’accueil aux urgences, les moyens alloués à la gériatrie, aux soins palliatifs -« c’est aussi une question de volonté »- ou encore l’évolution des pratiques médicales. « Il est nécessaire de revoir le contenu des études de médecine sur la prise en charge de la fin de vie », martèle le parlementaire. Bref, un nombre incalculable de chantiers s’ouvrent devant lui et son collègue Jean Léonetti. Autant d’obstacles sur le chemin très étroit d’une « loi équilibrée et faite pour les patients ».

« Directives anticipées… expérience vécue »

Véronique s’est fait opérer de méningiomes au CHU de Poitiers, à la rentrée 2013. Mais depuis l’été dernier, elle avait tenté de faire enregistrer ses directives anticipées auprès du service de cardiologie. Au cas où… Refus net. « On m’a répondu que c’était réservé aux personnes en fin de vie et aux soins palliatifs ! » Même refus d’enregistrement, quelques mois plus tard, au sujet du tiers de confiance. « Le service m’a indiqué que le document n’était valable que pour une opération, alors que la loi dit qu’on peut le désigner pour trois ans renouvelables… » Ce n’est qu’en mars 2014 que la direction des usagers a fait part à Véronique de l’enregistrement de ses volontés dans son dossier médical. Huit mois pour respecter la loi !

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