Bouziane Fourka. 48 ans. Patron d’aYaline, l’une des plus grosses web agencies de la place de Poitiers. Né au Nord-Maroc, dans une famille très pauvre. Nourri au biberon du système éducatif français. Éternel fonceur, ce père de trois filles mélange chaleur orientale et rigueur occidentale.
C’est l’histoire d’une « enfance très difficile », d’une adolescence brillante et d’une vie d’adulte accomplie. Cette histoire, c’est la sienne. Dans son village d’Ambar, au nord du Maroc, peu de ses contemporains auraient sans doute misé un dirham sur la réussite de Bouziane Fourka. Jusqu’à ses 7 ans, ce cadet d’une fratrie de trois enfants a grandi sur la terre battue d’une maison qui n’en avait que le nom. Son père bossait aux Pays-Bas et ne « revenait au pays qu’un à deux mois par an ». Quant à sa mère illettrée, elle a « tout fait pour que nous fassions des études ». À défaut de confort matériel, le dirigeant poitevin de la SSII Ayaline (30 salariés) a capitalisé sur « l’amour de ses parents » pour devenir quelqu’un.
De Nador, où il fut l’un des plus brillants élèves de la nouvelle promotion de Terminale C, à Poitiers, en passant par Dunkerque, ville hôte de sa première année en France, Fourka le fonceur a « beaucoup bossé ». Au point d’obtenir un diplôme d’ingénieur à l’Ensma, même si ses primes ambitions l’auraient volontiers porté à intégrer la prestigieuse école « Centrale ». « Quand j’ai un objectif en tête, tout le reste disparaît. Vous savez, on se forge dans la difficulté », avance-t-il. Comme pour exhaler un certain parfum de revanche sur le sort. Ses yeux rieurs laissent soudain perler quelques larmes de tristesse. Dans le Nord -de l’Hexagone-, l’étudiant a découvert l’univers sombre des foyers Sonacotra. Ceux-là mêmes qui hébergeaient son paternel de l’autre côté de la frontière belge. « La manière dont on traite ces personnes… C’est inhumain, ignoble. Ils ont fait la France. » La pudeur enjoint de passer à un autre sujet, même si les douleurs du passé ne s’estomperont pas.
« Un mental de fer »
D’une certaine manière, lui aussi « fait la France ». Depuis sa sortie de l’école aéronautique poitevine, l’auteur d’une thèse sur le refroidissement des… composants électroniques a fait du web au sens large son terrain d’accomplissement. Jusqu’à créer l’une des premières agences dédiées dans le pays, Lnet Multimédia. « La première fois que j’ai été en contact avec la technologie, j’ai trouvé ça formidable ! Je savais qu’il y avait quelque chose à faire avec… » La suite lui a donné raison. L’éclatement de la bulle Internet aurait pu le ramener à la raison. A Noël 2004, Fourka le discret n’a même plus de quoi « faire les courses ». Une sorte de retour sur terre aussi brutal que douloureux. Beaucoup ne s’en seraient pas relevés. Lui a choisi de retrousser les manches. « J’avais un mental de fer. » Quelques années dans le giron du géant SQLI auront achevé de le convaincre que son avenir passait par une nouvelle aventure « solo ». Et voilà comment le Marocain a repris son indépendance, en 2010. S’affranchissant de tous les codes de bienséance, qui veulent qu’en France, le droit à l’échec soit proscrit.
« Le président du Tribunal de commerce m’a dit que j’étais un cas unique. » Il en sourit. Le très entreprenant patron d’aYaline -contraction du prénom de ses filles Aya et Lina- a poussé le symbole jusqu’à élire domicile dans les anciens locaux de l’Ensma, boulevard Chasseigne. « Là où je me suis connecté pour la première fois au web. » L’ingénieur de formation est un affectif, qui mélange chaleur orientale et rigueur occidentale. Une sorte de trait d’union entre le royaume du Maroc, où il a développé de nombreuses activités dans le web, et son pays d’adoption. Jusqu’en 2010, le quadra avait pourtant refusé de demander la nationalité française. Contrarié par les sempiternelles promesses des politiques sur le droit de vote des étrangers. « Et puis, mes filles m’ont fait prendre conscience qu’elles se sentaient Françaises. Ça a fait tilt dans ma tête. »
Ah, ses filles… Sans Aya, 12 ans, Lina, 8 ans et Baya, 10 mois, sa fièvre entrepreneuriale aurait sans conteste dépassé les limites du raisonnable. Un événement a modifié son rapport à la famille, au temps. Mars 2008. Baya reçoit un téléviseur de près de 50 kg sur la tête. « Ma femme m’a appelé en me disant qu’elle était morte… » Elle souffre en fait de plusieurs fractures du crâne. Aujourd’hui, Lina va mieux. Et son paternel évoque ce « véritable miracle » avec un soulagement évident. « Depuis, je ne suis plus le même. J’ai beaucoup changé. » La famille, source d’accomplissement ? D'Ambar à Poitiers, la question ne se pose même plus !