Depuis près d'un siècle et demi, la famille François excelle dans l’art de fabriquer des parapluies. À Poitiers, le repaire familial du numéro 137 de la Grand-Rue s’apparente davantage à un lieu de pèlerinage touristique qu’à une simple échoppe.
Dans la vie des Français, certaines choses sont immuables. Comme, par exemple, sortir un bon vieux pépin lorsqu’il tombe des hallebardes. Chez les François, le rituel consiste à les fabriquer, de manière artisanale s’entend. Les médias du monde entier se sont déjà penchés sur l’incroyable histoire de cette fabrique (unique) de parapluies, sise aux 137 de la Grand-Rue, à Poitiers. Une histoire de famille, dont la pionnière s’appelait… Angélina. Dans un papier que lui avait consacré L’Express, en 2009, Pierre François avait buté sur la prime question du plumitif. Il a recouvré la mémoire. « Ce qui est sûr, c’est que c’était une femme de tête, avance son arrière-petit-fils. Pour se mettre à son compte, en 1882, dans une société d’hommes, il fallait avoir du caractère ! » Avec son petit frère Louis (62 ans contre 64), Pierre François perpétue une tradition artisanale désormais vieille de cent trente-deux ans. Il voue une admiration particulière à son grand-père, « qui s’appelait Pierre mais que out le monde appelait Fernand ». Fernand, donc, s’est installé aux commandes de la fabrique de pépins au début du XXe siècle.
La date exacte importe peu. « On a retrouvé une photo de lui devant la boutique, prise en1909. » Il a surtout bossé dans l’atelier niché dans l’arrière-boutique, jusqu’à ses quatre-vingt-quatre printemps. Avec une réputation flatteuse d’artisan raffiné. Quand on aime… « Mon père, lui, s’est arrêté à 86 ans. Il avait d’ailleurs une jolie expression pour parler de la mort. Il disait « Quand je fermerai mon dernier parapluie, ce sera la fin ». » Emile s’en est allé, mais ses fils veillent au grain depuis 1972.
Japonais, Australiens…
Au départ, Pierre le saxophoniste s’était dirigé vers des études de musicologie. Louis jouait du trombone à coulisses. Ils ont finalement accordé leurs violons pour que la fabrique ne s’arrête pas au milieu du gué. Quelque part, la conception d’un pébroque s’apparente à une forme d’art. D’autant que les deux frères et leur salarié travaillent à l’ancienne. Le « made in China » a longtemps été leur ennemi. Aujourd’hui, c’est leur meilleur allié. « Les clients en reviennent, ils se rendent compte de la piètre qualité des produits et préfèrent miser sur la qualité. » À dire vrai, l’artisan poitevin n’a « jamais cherché à être à la mode ». Sa collection de « chamberlains » est indémodable. Immuable. Les machines aussi d’ailleurs ! Depuis une quinzaine d’années, François Frères a établi son « QG » secondaire à Saint-Bertrand de Comminges, en Haute-Garonne. Là-bas, les touristes de passage raffolent des parapluies François. Pierre et Louis s’y relaient quatre mois par an, tandis qu’à Poitiers, « les gens s’agglutinent parfois le dimanche devant la vitrine ».
L’aîné de la famille constate le phénomène amusé, lui qui habite au-dessus de la boutique. Le reste de la semaine, ses clients sont des fidèles, parfois jeunes et étrangers. Japonais, Australiens, Québécois, Sud-Américains emportent chez eux un petit coin de parapluie poitevin. Etonnant voyageur que ce pépin ! La succession ? Ici, on n’y pense pas vraiment. « Ce n’est pas encore d’actualité. » N’empêche, Llian Lagardère est pressenti pour prendre la suite. Le salarié du dernier fabricant de parapluies français travaille dans l’esprit des François. Et c’est tout ce qui compte…