Un pharmacien de Poitiers part en guerre contre les dangers liés aux compléments alimentaires. Patron d’une société de recherche indépendante basée à Chasseneuil, Hubert Taupe estime qu’il n’existe aujourd’hui aucune veille sanitaire après leur commercialisation. Et pourtant, les Français en raffolent…
e saviez-vous ? Le marché des compléments alimentaires a littéralement explosé dans l’Hexagone, avec une progression de 20% en trois ans et un chiffre d’affaires d’1,2 milliard d’euros. Inutile de chercher très loin la gélule antioxydante, la pilule santé ou la barre énergisante « à base de produits naturels » pour les sportifs. L’aliment santé est partout, notamment à la télé ! « Plus de six cents nouvelles références inondent le marché français chaque mois », constate Hubert Taupe. Ce qui ne réjouit pas le dirigeant de la société Isoclin, spécialiste du développement clinique et du suivi de la sécurité des produits de santé.
Isoclin observe le phénomène à la loupe depuis plusieurs années et lance un pavé dans la mare. « La sécurité du consommateur est totalement ignorée par les industriels, une fois le produit vendu, indique le pharmacien. Les risques potentiels sont passés sous silence, au profit des arguments marketing. » Son constat est sans appel. Il existe pourtant une réglementation, en vigueur depuis octobre 2010. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a mis en place un dispositif national de nutrivigilance pour tous les compléments alimentaires. Las… « Depuis, il ne s’est rien passé et aucune sanction n’est prévue. »
« Silence radio »
En théorie, tous les acteurs de la filière, du fabricant au distributeur, en passant par l’importateur ou le transformateur, sont censés collecter et signaler tous les événements indésirables. Le hic, c’est que l’Anses n’aurait pas les moyens de ses ambitions. Seuls quarante-six signalements ont été remontés aux autorités sanitaires depuis vingt-cinq ans. « Il n’y a aucun problème puisqu’on ne les cherche pas », s’énerve Hubert Taupe. Dans son viseur, les industriels, pas pressés d’appliquer la réglementation.
Une dizaine de personnes ont été hospitalisées après ingestion d’un produit à base d’extrait d’igname. De quoi accréditer la thèse d’un risque potentiel. « Nombre de ces produits viennent se substituer aux médicaments, sans pour autant bénéficier d’un suivi de sécurité alimentaire… »
Des outils de veille ont été développés spécifiquement, à l’image de ce qui se passe dans l’industrie du médicament. Mais les fabricants, dont Hubert Taupe estime le nombre à « 4 000 en France », ne les utilisent pas. « Il y a un lobby des laboratoires pour freiner des quatre fers. » Sur une sollicitation de… l’Anses et de la DGCCRF(*), sa société a, elle-même, créé un logiciel de nutrivigilance en ligne, baptisée Nutrivigiweb. « Mais depuis un an, c’est silence radio, soupire l’expert judiciaire près la Cour d’appel de Poitiers. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’alerter l’ensemble des pouvoirs publics. Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. »
(*) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.