Le viaduc face à la tentation suicidaire

À la fin de l’année dernière, deux femmes se sont donné la mort en se jetant depuis le nouveau viaduc Léon-Blum. Comme la passerelle avant lui, le nouvel édifice sera-t-il victime de suicides en série ? Toujours est-il que le débat sur son équipement existe bel et bien.

Arnault Varanne

Le7.info

C’est un sujet que personne n’aime évoquer. La chape de plomb autour du suicide écrase la société tout entière, au point de passer sous « silence » les événements les plus dramatiques. À commencer par ces deux décès, survenus les 16 novembre et 29 décembre derniers, à hauteur du nouveau viaduc Léon-Blum. Dans le deuxième cas, la désespérée d’une cinquantaine d’années a terminé sa chute sous les yeux de piétons traumatisés. Une jeune femme de 25 ans, littéralement en larmes, a fait l’objet d’un accompagnement psychologique.

Encore en travaux, l’édifice fait déjà parler de lui, comme la passerelle des Rocs en son temps. Un triste air de déjà-vu. Du coup, la question liée à la hauteur des garde-corps qui ceinturent les trois cents mètres de chaussée se pose. « Ces équipements sont à une hauteur réglementaire d’1,40m, répond le service communication de la Mairie. Qui ajoute : « De toutes les façons, on ne peut pas empêcher les gens de se suicider… » Le Dr Jean-Jacques Chavagnat est d’un autre avis. En 2011, le psychiatre du Centre hospitalier Henri-Laborit avait écrit à Alain Claeys pour le sensibiliser sur la nécessité d’installer des barrières de sécurité sur le viaduc. « A l’époque, il ne m’avait pas répondu favorablement. Pourtant, il me paraît indispensable de les mettre en place. Même pour une vie… La première façon de prévenir le suicide, c’est de limiter l’accès aux moyens d’action », abonde le président du Groupement d’études et de prévention du suicide.

« Un vrai sujet »

Dominique Clément a, lui aussi, été confronté à l’irréparable, en 2013. Deux personnes se sont jetées du haut de l’ancien viaduc ferroviaire qui surplombe Saint-Benoît, la ville qu’il dirige. « Nous réfléchissons à l’équiper de barrières plus hautes, pour prévenir ce type de comportements, reconnaît le maire. Mais c’est très compliqué et cela coûte extrêmement cher, 250 000€ au minimum. » Le vice-président de Grand-Poitiers est d’autant mieux placé pour évoquer le sujet, qu’il a siégé au sein de la commission d’appel d’offres du viaduc Léon-Blum. « Mais à aucun moment nous n’avons abordé ce problème, c’est vrai… » Il garde pourtant en mémoire cette fameuse nuit, où la gendarmerie l’a appelé à 3h du matin. « Je ne voulais pas laisser mon employé seul. C’était très traumatisant. » « Les familles, les secours, les badauds… Tout le monde est choqué lorsqu’un drame survient », atteste le Dr Chavagnat.

Sylviane Thinon la première. Cette Poitevine de 54 ans a perdu son frère, en 1998. Il a mis fin à ses jours depuis la passerelle. Son autre frère aîné a, lui, empêché sa future femme -« ils ont eu trois enfants ensemble »- de commettre l’irréparable. « Du coup, la passerelle des Rocs tient une place particulière dans mon coeur », témoigne Sylviane. En soixante ans de service, combien sont-ils/elles à s’être jeté(e)s dans le vide ? Des dizaines ? Des centaines ? Il n’existe apparemment aucune comptabilité officielle. Le suicide, un sujet définitivement tabou.

Brest et Dinan en exemples

Confrontées à une recrudescence du nombre de suicides à partir d’ouvrages d’art, Dinan et Brest ont décidé d’agir. La sous-préfecture des Côtes d’Armor va équiper son viaduc d’un garde-corps d’1,80m. Coût estimé : 400 000€. Dans la préfecture du Finistère, le pont Schuman avait fait l’objet de travaux identiques en 2003, avec des protections à 2,85m. Plus loin de nous, la ville de Montréal a protégé le pont Jacques-Cartier dès 2005. Dix personnes y auraient perdu la vie tous les ans, entre 1987 et 2002.

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