Hier
Premier volet de notre série sur les vieilles familles poitevines. Economie, culture, politique… De génération en génération, elles ont marqué ou marquent encore la ville de leur empreinte. Exemple avec les Grandon, issus d’un milieu modeste et avocats de père en fils(lles).
Camille sautera-t-elle le pas ? Embrassera-t-elle la carrière d’avocate, comme son père Jean-Louis, sa tante Françoise -mariée à un confrère, Patrick Arzel- et, surtout, son grand-père Jacques(*), dont elle « admire le parcours » ? À 23 ans, l’étudiante en licence à Paris-Assas se dirige tout droit vers la défense de ses contemporains. « Et pourtant, je ne l’ai pas influencée ! », jure le doyen des défenseurs poitevins, 86 ans. Prière de croire sur parole l’ancien vice-président du Conseil général, ère Monory. Ce serait mentir de dire que ce ténor du barreau n’exerce aucun pouvoir de fascination sur son « clan ».
Ses états de service plaident pour lui. Mais Jacques Grandon sait trop bien ce que le verbe « s’émanciper » signifie pour imposer aux siens une quelconque destinée professionnelle. Du reste, à part Camille, aucun de ses cinq autres petits-enfants ne devrait emprunter la voie du droit. « Tant pis si c’est l’extinction de la race ! », s’esclaffe-t-il. Dans la préface de son livre de famille, auquel il n’a pas touché depuis longtemps, le doyen parle des siens comme « des gens bien ordinaires ». Aucune fortune dissimulée, juste une boucherie familiale ancrée depuis des lustres à Saint-Benoît.
« Sans la guerre, j’aurais dû succéder à mon père. Il aurait été très content. En quelque sorte, j’ai profité de la situation pour tracer mon parcours. »
« Pas du sérail »
Jacques Grandon se rêvait en médecin, il sera avocat. Il l’est encore, d’ailleurs… soixante-cinq ans après ses premières armes comme stagiaire. Avec du recul, il ne regrette rien, persuadé qu’il n’aurait « pas été à l’aise » dans le monde de la boucherie. Mais, quelque part, le plus jeune conseiller général de la Vienne -à 38 ans avait aussi envie de prouver au microcosme local qu’on pouvait « ne pas être du sérail » et réussir socialement. L’explication ? « Je ne connais aucun des Grandon qui fût paresseux », rapporte le patriarche. « Et encore, esquisse son fils Jean-Louis, il aurait pu faire une carrière politique encore plus grande. » L’éternel « second » derrière René Monory ne s’est jamais résolu au compromis. Au reniement. Car une carrière politique de premier plan national aurait signifié l’abandon de sa « passion » première : la plaidoirie. Son « Journal d’un avocat » (deux récits) décrit avec quelle gourmandise ce centriste dans l’âme a croqué dans la vie professionnelle.
Au plus fort de son activité, le petit-fils de maçon a traité jusqu’à deux mille dossiers par an et plaidé dans des affaires de renommée nationale. Bien sûr, il aurait aussi pu s’exiler à Paris et côtoyer les Vergès, Metzner, Veil… Seulement, ses racines « sont là ». De son appartement, il a une vue imprenable sur le Palais de justice. Cette proximité avec les siens compte évidemment beaucoup. Au crépuscule de sa vie, ce dont il est le plus fier est sans doute d’avoir rendu sa femme « heureuse pendant deux tiers de siècle ». Ils se sont définitivement quittés en août. De quoi resserrer davantage encore les liens. Chez les Grandon, la famille est sacrée.
(*) Jacques Grandon a également une autre fille, Anne, née en 1959.
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