Poitiers est-elle "marginale" ?

A l’heure où le centre-ville se refait une beauté, la marginalisation de la rue fait parfois tache dans le décor et dérange à plus d’un titre riverains et commerçants. Dans l’espoir d’un « mieux vivre ensemble », services municipaux et forces de l’ordre cherchent le plus juste équilibre.

Nicolas Boursier

Le7.info

Cet après-midi comme tant d‘autres, ils se sont donné rendez-vous devant l’entrée principale des Cordeliers. Il est 16h30. Depuis plus de soixante minutes, leurs discussions se mêlent à la dégustation d’une ou deux petites cannettes de bière. A leurs pieds, une poignée de « gentils toutous » attendent sagement que le camp soit levé. « Pourriez-vous quitter cet emplacement ? » D’une voix assurée, un gardien de la paix vient de prier Sylvain et ses compagnons de déguerpir. « C’est toujours comme ça, plaisante Fahrid. Franchement, quel mal on fait ? » Comme la plupart des hommes et des femmes du groupe, le susnommé Fahrid n’est pas un sans domicile fixe. Il a un logement, mais apprécie de retrouver les copains, de se replonger, quelques heures durant, dans l’effervescence de la rue et le contact fraternel. « A vrai dire, ici, à Poitiers, il n’y a pas plus de quatre ou cinq gars qui vivent réellement sans toit », confesse à son tour Lahcen. « Quatre ou cinq sur un noyau dur d’habitués que nous estimons à une vingtaine d’éléments », éclaire Jean-Claude Bonnefon, adjoint à la Solidarité à la Mairie.

Comme dans la plupart des agglomérations, leur présence fait partie du décor. Mais elle dérange, aussi. « Lorsqu’ils sont seuls, ce sont des gens agréables, avec lesquels on peut discuter, mais dès qu’il sont en groupe, le ton change », soupire un commerçant de la place. Selon lui, cet effet de masse, ajouté à une consommation parfois excessive d’alcool et l’aspect dissuasif des chiens, aurait « des effets néfastes sur la fréquentation de l’hypercentre et de ses commerces. » « Je ne demande qu’à les respecter, mais encore faut-il qu’eux nous respectent. Ce n’est pas en hurlant jusque devant nos portes et en excitant leurs molosses qu’ils s’attirent la sympathie. Franchement, j’ai peur qu’un jour, ça dégénère. » « On connaît les points de crispation, reprend Jean-Claude Bonnefon, les rues des Grandes Ecoles et du Marché et la place Notre-Dame. On sait aussi que ces marginaux ont vécu ou vivent encore des moments difficiles, il n’y a donc aucun lieu de stigmatiser leur condition. Notre seule volonté, c’est de favoriser le mieux-vivre ensemble. Un juste équilibre doit être trouvé entre leur présence dans la rue et la nécessité que cette présence-là n’empiète pas sur la tranquillité des riverains et l'activité des commerçants. »

Alcool et chiens

Deux éducatrices de rue du Centre communal d’action sociale battent régulièrement le pavé pour répondre aux besoins des marginaux, en complément des actions d’accueil, de soutien et d’écoute menées par le Relais Georges-Charbonnier et La Croix-Rouge. «Périodiquement encore, le CCAS, la police, les services Prévention tranquillité et Hygiène publique de la Mairie font un point sur l’évolution du « phénomène », poursuit l’adjoint. Tout est mis en oeuvre pour que prévention  et répression, notamment pour la consommation d’alcool, assurent elles-mêmes un juste équilibre.»
Entre la volonté municipale de « faire cohabiter au mieux », la crainte de certains commerçants et riverains de voir « les rues devenir des squats géants » et l’appel à « une plus grande tolérance populaire » lancé par les marginaux eux-mêmes, cet équilibre est trop souvent précaire. A l’heure où la ville fait sa révolution urbanistique, il est peut-être temps que, de part et d’autre du miroir, les mentalités fassent aussi la leur. Pour le bien et la paix de tous…
 

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