Le sociologue poitevin a longtemps travaillé sur les ruptures scolaires. Il estime que les raisons du décrochage des élèves se cachent d'abord dans les inégalités sociales qui frappent leurs familles.
Comment expliquez-vous le décrochage scolaire ?
« Je préfère parler de rupture scolaire. Le terme même de décrochage scolaire tend à faire croire que tout le monde peut être concerné par ce phénomène. Or, une chose est claire, les jeunes des classes populaires constituent la très grande majorité du bataillon de décrocheurs. La généralisation du terme de décrochage masque, en fait, un problème d'inégalités sociales bien plus global et ancien dans la société. L'Ecole doit créer des citoyens égaux et autonomes, mais elle ne fait que les classer et les déclasser. »
Quelles sont les conséquences sur le fonctionnement de l'Ecole ?
« L’Ecole est une construction culturellement arbitraire. C'est une norme. Tous ceux qui ne rentrent pas dans le modèle imaginé par la classe dominante sont exclus, alors qu’ils ne sont pas bêtes. L'institution porte le vrai savoir et rejette d'autres connaissances pratiques. Ce qui explique aussi pourquoi les filières manuelles sont dévalorisées en France. Par principe, on veut y intégrer tout le monde, mais l’Ecole n’a pas les moyens d’adapter ses méthodes d’apprentissage. Se tenir sur une chaise pendant plusieurs heures, se projeter dans l'avenir, prendre le temps sont des postures culturelles, qui ne sont pas acquises par tous les élèves. Un collègue dit souvent que si le vélo s'apprenait à l'école, certains n'arriveraient jamais à en faire. L'Ecole enseigne d'une manière bien précise, dans un délai contraint et demande à l'enfant d'expliquer comment il réussit. Heureusement que la maîtrise du vélo n'est pas un enjeu social ! »
Quelles solutions proposez-vous ?
« Certains solutions sont connues depuis quinze ans. Mais on continue d’appliquer des méthodes inefficaces, c'est décourageant. On sait, par exemple, que la logique d'évaluation est mauvaise car les notes et les appréciations ne font que dévaloriser les élèves et les transformer en exclus de l'intérieur. Le travail en classes nombreuses de niveaux hétérogènes n'est pas parfait, tout comme l'idée que tous les élèves doivent maîtriser les mêmes compétences au même moment. Plus largement, la hiérarchie des matières engendrée par les coefficients au bac doit être remise à plat. Pourquoi ne pas intégrer les filières professionnelles dans les lycées généraux ? »