Des étrangers (toujours) en sol mineur

Depuis notre enquête de l’automne dernier, le nombre de mineurs étrangers isolés débarqués à Poitiers n’a pas faibli. Ils seraient aujourd’hui cent neuf à la charge du Conseil départemental. Nous avons retrouvé Dylan, qui rêve d’un avenir ici, mais vit dans l’incertitude d’un retour vers le Cameroun.

Arnault Varanne

Le7.info

Dans quelques jours à peine, il aura 18 ans. Un âge où l’on s’émancipe volontiers, en quête d’une espèce de liberté un peu virtuelle. Mais pour Dylan (*), le cap de la majorité pourrait être synonyme de grand danger… et de possible expulsion.

A la fin octobre 2014, nous l’avions rencontré aux abords de l’un des hôtels de la gare. Le jeune Camerounais logeait là depuis son arrivée en bus de Madrid, au coeur de l’été. Rien qu’en août, vingt-six jeunes mineurs isolés étrangers avaient « échoué » dans la capitale régionale, mettant les autorités de tutelle dans l’embarras (voir n°237). Depuis, la situation s’est dégradée… et Dylan a déménagé au Foyer de jeunes travailleurs Kennedy, dans le quartier des Couronneries.

Lionel, son « pote » de l’époque, s’en est allé vers Clermont et y suit une formation en mécanique. « Je ne regrette rien de mon parcours, même si ma famille est loin et que j’aimerais revoir mon petit frère et mon père, avance le néo-apprenti électricien, qui prépare un bac pro au lycée Réaumur. J’espère vraiment que mon avenir est ici. En tous cas, je me donne les moyens de réussir… »

Un retour manu militari dans son pays d’origine ? Le futur électricien n’ose y croire, même s’il « s’attend à tout », en raison de son passage imminent dans le monde des adultes. Le tout est asséné d’une voix calme et déterminée, dans un langage clairvoyant, empreint de lucidité. « J’essaie de garder ma sérénité, de mettre le maximum de chances de mon côté ! », renchérit le lycéen. Sauf que demain, Dylan sera considéré comme un sans-papier en puissance par les autorités.

L’Etat au centre

Devant l’afflux de jeunes mineurs étrangers isolés, cinquante-cinq depuis le 1er janvier dernier, le Conseil départemental a choisi la fermeté. Comme en décembre dernier, la collectivité en charge de la protection de l’enfance a décidé de « suspendre les nouveaux accueils pendant un mois ». « Le Département prend en charge cent neuf mineurs pour un coût annuel de 3,8M€ », déplore Bruno Belin (Les Républicains), son président. Jeudi dernier, l’exécutif départemental a adopté une motion entérinant ce moratoire sur l’accueil et appelant à « réaliser une étude (…) de faisabilité pour créer une structure d’accueil spécifique pour ce public ». Le groupe Vienne à gauche a voté contre. « Il faut intégrer ces migrations comme un élément structurel de nos politiques publiques », estime Sandrine Martin, conseillère départementale d’opposition.

Evidemment, le rôle de l’Etat est au centre des débats, notamment l’efficacité de la circulaire Taubira, censée assurer une meilleure répartition des mineurs étrangers isolés dans les départements. « La réorientation, c’est un rapport de force permanent avec mes homologues d’autres départements », déplore Frédéric Pierre, en charge de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Le refus d’accueillir des exilés du bout du monde suffira-t-il à « faire passer un message aux réseaux de passeurs », comme l’espère la droite départementale ? Le doute est permis. Dylan, lui, est très loin de ces considérations politiques…

(*)Le prénom a été modifié à sa demande.

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