La loi change de trottoir

La proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel est examinée vendredi à l’Assemblée nationale. Elle vise notamment à responsabiliser le client. Mais prostituées et associations craignent le danger et la précarité que ce texte pourrait induire.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

Ce vendredi, les députés examineront la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel. Portée par Catherine Coutelle, Guy Geoffroy et Maud Olivier, la réforme prévoit, entre autres, de pénaliser le client et d’abroger le délit de racolage. L’acte sexuel sera ainsi puni d’une contravention de 1 500€.

Du côté des représentants des prostituées, la colère gronde. « Ces députés méprisent la parole des principales concernées, s’insurge Maîtresse Gilda, porte-parole du Strass, le syndicat du travail sexuel. Ils font des amalgames entre traite des êtres humains, travail forcé et prostitution, au mépris des réalités de terrain et en prétextant que la prostitution est un outil de domination des hommes sur le femmes. Les violences ne sont pas inhérentes à notre activité. »

Campée sur les trottoirs du boulevard du Grand-Cerf depuis dix mois, Irina (*), elle, semble découvrir la loi, mais sa réaction est immédiate. « La prostitution est nécessaire en France. Pénaliser le client n’est pas une solution, cela augmentera les risques de viol, invoque-t-elle. Cela fait dix mois que je suis prostituée à Poitiers, j’arrête fin juin. J’ai trouvé un vrai travail. Être prostituée, ce n’est pas une vie, c’est très dur. » Le cas d’Irina est particulier. Immigrée bulgare, cette mère de famille travaille indépendamment de tout réseau. Aux abords de sa « zone », d’autres prostituées, pour la plupart originaires du Nigéria, bossent sous la direction d’une « Mamma », à laquelle elles reversent les recettes de leurs passes. « Which law ? Nothing to say » (« Quelle loi ? Rien à déclarer »), coupe simplement l’une d’entre elles, peu encline à la discussion. Et pour cause, d’après les députés, la majorité des prostituées de rue appartiendraient à des réseaux.

Vers une prostitution clandestine

Mais ce projet de loi ne risque-t-il pas de favoriser la prostitution clandestine ? Ou de déplacer le problème vers des lieux reclus et les bas-fonds du web ? « Ils disent vouloir aider les prostituées, mais comment ?, s’emporte Maîtresse Gilda. En les privant de clients et en les faisant crever de faim ? Ce sont nos clients qui nous permettent de manger et d’élever nos enfants. Cette loi va nous mettre dans une situation de grande vulnérabilité et de précarité. »

L’Abri confirme les propos de la prostituée. Une fois par semaine, le collectif effectue des maraudes sur le terrain. « Nous constatons une augmentation des difficultés rencontrées pour couvrir les besoins primaires, en particulier en termes d’alimentation, explique Magali Cathalifaud, coordinatrice du collectif. Qui plus est, plusieurs d’entre elles nous ont relaté des actes de violence. Nous avons pu aborder, ensemble, la nécessité d’être très vigilantes et de protéger leur intégrité physique et mentale. »

Sur les soixante-seize prostituées recensées à Poitiers l’an passé, toutes n’auront pas l’opportunité, comme Irina, de trouver un autre emploi. Malgré tout, elles comptent sur le trottoir et leurs clients pour survivre. (*)Le prénom a été changé.

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