La radicalisation, parlons-en

Selon le ministère de l’Intérieur, près de mille Français sont partis grossir les rangs de l’Etat islamique. Parmi eux, y’a-t-il des jeunes originaires de Poitiers ? Les autorités refusent de répondre, mais quelques indices tendent à prouver que la capitale régionale ne serait pas épargnée par le phénomène de radicalisation.

Arnault Varanne

Le7.info

L’affaire du powerpoint du rectorat de Poitiers, intitulé « prévention de la radicalisation en milieu scolaire », aura au moins eu un mérite : attirer la lumière sur l’embrigadement de jeunes Français, attirés par les sirènes de l’Etat islamique. Car à écouter Jacques Moret(*), le phénomène toucherait Poitou- Charentes, comme les autres régions. Le recteur d’académie invoque un « devoir de réserve », mais admet que « son » initiative, si controversée soit-elle, correspond à « un besoin sur le terrain ».

Selon des sources concordantes, les autorités auraient reçu des signalements. Depuis avril dernier, le ministère de l’Intérieur a mis en place un Plan national d’assistance et de prévention de la radicalisation, avec un numéro vert (0800 005 696) et un site (www.interieur.gouv.fr) à la disposition des familles ou proches d’individus soupçonnés de radicalisation, ayant émis ou émettant le souhait d’épouser la cause du djihad.

Qui sont ces individus ? Comment détecter d’éventuels signes avant-coureurs d’un basculement vers la radicalisation ?… Le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) vient de publier un rapport de quatre-vingt-dix pages sur le sujet, s’appuyant sur le témoignage de cent soixante familles. Dans 23% des cas, les candidats au djihad seraient des convertis de la dernière heure. Ils auraient entre 15 et 21 ans et seraient issus de classes moyennes ou supérieures -avec une forte représentation des milieux éducatifs- dans des familles à 80% athées. La fondatrice du CPDSI et anthropologue du fait religieux, Dounia Bouzar, évoque, dans le préambule du rapport, l’émergence des « comportements de rupture (scolaire, professionnelle, amicale, familiale, sociétal) qui conduisent les mineurs et jeunes majeurs » à l’endoctrinement.

Présence renforcée en prison

Ce qui est sûr, c’est qu’Internet constitue le canal prioritaire de la propagande islamique radicale. Donia Bouzar parle de « radicalisation en chambre ». « C’est d’ailleurs pour cette raison que ces jeunes ne fréquentent pas la mosquée », note El Hadj Amor Boubaker, président de la communauté musulmane de Poitiers. Qui ajoute illico : « C’est aussi en cela que le document du rectorat est maladroit et nous fait du tort. Beaucoup de signes décrits sont communs à nombre de musulmans… » Il faut donc une attention soutenue de tout à chacun pour éviter que de nouveaux Mickaël Dos Santos ou Maxime Hauchard basculent du mauvais côté. On sait aussi que les établissements pénitentiaires servent de terreau aux islamistes.

L’imam de la mosquée de Poitiers entend ainsi renforcer sa présence à la prison de Vivonne. Jusque-là, un seul aumônier musulman y assurait des permanences. « Nous serons bientôt un groupe de quatre ou cinq à nous relayer. Les jeunes ont besoin d’échanger, dans un contexte d’enfermement. » Dans les quartiers de Poitiers, on se veut rassurant. « Autant il y a dix ans, j’étais inquiet du phénomène des grands frères, qui véhiculaient le discours de la religion comme seul recours, autant là, je ne perçois pas de dérive », note un animateur, qui tient à rester anonyme. Tout le monde est cependant d’accord sur la nécessité d’une vigilance accrue.

(*) Entretien exclusif à lire sur www.7apoitiers.fr

 

Un numéro vert et une coordination

Le commissariat a lui-même mis en oeuvre une procédure d’accueil téléphonique et physique. Un questionnaire-type est disponible. La police se charge ensuite de diffuser les informations recueillies vers les services intérieurs ou territoriaux, pour des investigations plus poussées. Une coordination préfecture-parquet-services intérieurs et territoriaux a été créée, qui a pour mission de travailler sur les profils des individus « suspects » et l’accompagnement de leurs proches. Dans le cadre de cette coordination, la police peut être sollicitée pour l’activation d’une procédure de « disparition inquiétante » et même mobilisée sur le terrain, en cas d’interdiction de sortie du territoire.

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