Jacky Mercier, le roi de la tomate

Jacky Mercier. 68 ans. Né à Frontenay-sur-Dive. Défenseur de l’agriculture authentique. Maraîcher passionné. A remis au goût du jour la tomate ancienne et conquis les plus grandes cuisines de l’Hexagone. Habité par l’envie de cultiver et de transmettre le goût des saveurs oubliées.

Pierre Bujeau

Le7.info

Du champ à l’Elysée, il n’y a qu’un pas. Moustache tombante, bottes montantes et chemise rentrée dans le jean, Jacky Mercier se fond dans le paysage. Et pourtant... Dans les cuisines feutrées des palaces parisiens, sur les tables étoilées de Megève, ses trésors colorés s’arrachent. Vous la pensiez rouge et ronde ? Oubliez tout. Ici, la tomate se fait blanche, violette, noire. Elle s’étire, se pare de formes oubliées. Jacky ne l’invente pas, il la réinvente. Ces variétés autrefois chéries pour leur goût exceptionnel ont laissé place à un légume uniformisé. Il est l’un des derniers Mohicans à cultiver en plein champ, de façon biologique, la reine du marché. Un Mohican ? Plutôt un Gaulois résistant encore et toujours à l’industrie. « En 2004, je me suis installé en faisant le choix de la qualité, pas de la quantité. À l’époque, personne ne misait sur le bio », confie-t-il. Il sourit en évoquant ces matins sur les marchés où, après des heures de labeur, il repartait avec 3, parfois 5€ en poche. Animé par son amour du maraîchage, Jacky s’est accroché à cette singularité, jusqu’à rencontrer le succès. « La vie est faite d’épreuves. On avance ou on s’écroule », lâche-t-il. La formule peut paraître abrupte. Mais elle porte en elle le poids des drames qui ont marqué son existence. A 
14 ans, l’ado apprend le décès de ses parents dans un accident de voiture. Il vacille, trébuche, mais se relève, soutenu par son oncle. 
« Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul. Ma grand-mère et mon oncle m’ont élevé. Je leur dois beaucoup », murmure-t-il alors que son oncle passe devant la fenêtre. Pudeur paysanne oblige.


Echec et tomate

Aucune entreprise ne souhaite l’embaucher à l’aube de ses 20 ans, alors le jeune homme décide de devenir son propre patron. L’affaire tourne bien, une quinzaine de saisonniers viennent prêter main forte l’été. Alors, Jacky veut voir plus grand. Il lance une production sous serre, investit, emprunte. Mauvais pari. « A l’époque, un kilo de tomate traditionnelle se vendait 50 centimes. J’ai accumulé les crédits… jusqu’à devoir mettre la clé sous la porte. » Le coup est rude, l’échec brutal. Derrière les étals renversés, une certitude germe. Jacky la répète comme un mantra. « Je me suis retrouvé à bosser dans une supérette, au rayon légumes. Ce n’était pas moi. Je me suis fait une promesse : je reviendrai. Avec mes tomates. Du bio, du vrai, cultivé à l’air libre. » Mais repartir de zéro, c’est gravir une montagne. Retrouver une clientèle, racheter des tracteurs, semer, attendre… Pas le temps d’hésiter. Il faut reprendre le bâton de pèlerin et retrouver son chemin.

« Ils me riaient à la moustache en voyant toutes ces formes étranges. »

Il est des rencontres qui changent une vie, surgissant au détour d’un marché ou d’un comptoir. Celle de Jacky Mercier avec Jean de la Vaissière appartient à cette catégorie. « C’était en 1981. Je vendais mes chrysanthèmes sur le marché de Poitiers quand un inconnu m’interpelle, m’ordonnant presque de les retirer de la vente. » Les esprits s’échauffent, mais les deux hommes finissent autour d’un verre de rosé. La soirée s’éternise chez le maraîcher de Vendeuvre et, au petit matin, Jean lance à son invité : « Demain, je t’achète un camion de chrysanthèmes ! » En échange, il lui vend des plants de tomates anciennes. Un pacte, une transmission. Le paysan découvre le plein potentiel de ces tomates aux goûts inimitables. En 2004, c’est encore Jean qui convainc Jacky de se consacrer entièrement à ces variétés oubliées. Diplôme de gestion en poche, semences en terre, il ne lui reste plus qu’à séduire le grand public. Mais la clientèle paysanne s’esclaffe devant ses tomates multicolores. « Ils me riaient à la moustache en voyant toutes ces formes étranges », se souvient-il. Changement de cap : direction Neuville, à la rencontre des citadins.

De Frontenay à l’Elysée

Consommateurs, journalistes, puis restaurateurs affluent sur le marché dominical, attirés par la Garden Peach à la peau de velours ou l’Uso Blue, violette en grappe. Le moustachu commence enfin à récolter le fruit de son travail acharné, jusqu’à conquérir la table présidentielle. « C’était une fierté, mais ça ne m'a pas fait que du bien, confie-t-il. Quand les Poitevins ont su que Sarkozy mangeait mes tomates, certains me disaient : 
j’espère que tu vas l’empoisonner ! » La tomate de Jacky devient politique et attise les convoitises. Malgré la concurrence, les plus grands chefs -Yves Camdeborde et Marc Veyrat- restent fidèles à ses fruits gorgés de soleil. Mais aussi Jean Imbert. Le chef du Plaza Athénée, à Paris, l’accueille en ami. « Quand il vient chez moi, il se sert dans le frigo. » Jacky éclate de rire : « Moi aussi, j’ai mes privilèges dans son palace. » A 68 ans, l’heure est venue de lever le pied. Les années de labeur, un cancer de la vessie contracté il y a dix ans… Il a choisi de passer les clés de son jardin à son petit cousin Grégory Devergne, 19 ans. Le vieux briscard laisse à son cadet un royaume considérable : 70 espèces de tomates, 2 000m2 et une clientèle convaincue. Après une vie passée à cultiver l’exception, Jacky s’efface sans bruit, laissant derrière lui une terre riche d’histoires. Ses tomates continueront de mûrir au soleil, entre les mains d’une nouvelle génération. Mais qu’on ne s’y trompe pas : dans chaque chair juteuse, dans chaque saveur retrouvée, il restera toujours un peu de Jacky Mercier.

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