Aliénor, au nom de la reine

Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit… Quatrième étape aux côtés d’Aliénor duchesse d’Aquitaine (1124-1204), reine de France puis d’Angleterre.

Claire Brugier

Le7.info

Clara Dupond-Monod, Mireille Calmel, Régine Pernoud, Polly Schoyer Brooks, Alison Weir ou encore le Poitevin Amaury Venault (Le 7 n°577)… Neuf cents ans après sa naissance, Aliénor d’Aquitaine 
(1124-1204) n’en finit pas d’inspirer les auteurs. A Poitiers, le nom de la plus célèbre des reines médiévales résonne tout particulièrement, notamment dans l’immense salle des pas perdus du Palais. Son palais. « C’était 
un lieu politique, d’exercice de la justice, de conseil pour les barons, de prélèvement fiscal… Mais aussi un lieu de culture où se tenaient des veillées réunissant l’aristocratie, animées par des troubadours, ménestrels et jongleurs », rappelle l’historien Martin Aurell qui vient de consacrer une biographie à la fille de Guillaume X, duc d’Aquitaine et dernier comte de Poitiers(*). 


Comment sa notoriété a-t-elle traversé les siècles ? Grâce à ce que l’histoire a fait d’elle mais aussi grâce à ce qu’elle a fait. « Aliénor a toujours voulu faire respecter ses droits, rappelle Martin Aurell. Elle avait une conception patrimoniale du duché dont elle était l’héritière, et ce à une époque où, le pouvoir du roi n’étant pas absolu, il fallait pactiser. » Voire se marier, et même deux fois si nécessaire. « Mais dès lors que l’Eglise validait… » Rien d’étonnant donc, si ce n’est que son premier mari était roi de France, et le second futur roi d’Angleterre. 


Le sens de la com’

Fine politique, Aliénor savait aussi s’entourer, y compris de clercs capables de transcrire fidèlement ses décisions (on lui attribue 170 chartes). Et elle n’a pas attendu l’avènement des réseaux sociaux pour communiquer. Sa beauté, louée de son vivant par plusieurs chroniqueurs, a joué en sa faveur. Mais la reine arborait aussi de riches toilettes. « A suivre la comptabilité royale anglaise, le prix d’un vêtement d’Aliénor se situe entre 15 et 
20 livres, un chiffre faramineux à une époque où le simple garde d’un château gagne environ 
1 livre par mois, et où les rentes d’un grand baron s’élèvent à une centaine de livres annuelles. » A cela s’ajoutent des voyages, nombreux et pour certains lointains (Constantinople, Jérusalem, la Sicile, la Rhénanie…), « alors que les conditions étaient très dures à l’époque ». 
Mais nécessité fait loi. « Les gouvernants médiévaux devaient manifester leur présence pour se faire respecter. » Ainsi, lorsqu’en janvier 1200 Aliénor part à Burgos chercher sa petite-fille Blanche de Castille, elle a déjà plus de 75 ans ! « C’est une force de la nature », confirme Martin Aurell. De quoi compléter le visage de l’icône féministe et tordre le cou à sa légende noire née sous Philippe Auguste et alimentée par 
des historiens nationalistes du XIXe siècle selon lesquels « Aliénor aurait vendu l’Aquitaine à la perfide Albion et œuvré contre la construction de la France ».


(*)Aliénor d’Aquitaine, souveraine reine, Martin Aurell, Flammarion, 503 p., 24,90€.


Bio express

Née en 1124, Aliénor d’Aquitaine se retrouve à 13 ans l’héritière du duché d’Aquitaine. La même année, elle épouse Louis VII, roi de France. Leur mariage est en 1152, sous prétexte de consanguinité. Elle se remarie alors avec celui qui deviendra deux ans plus tard Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre. A la suite de la révolte de 1173 qui l’oppose à son mari, elle est placée en résidence surveillée. Veuve en 1189, elle reprend les rênes de l’empire Plantagenêt, au bénéfice de ses fils Richard Cœur de lion et Jean sans Terre. Elle décède à Poitiers en 1204 et est inhumée à Fontevraud.

Plus qu’un prénom

Rare dans les années 1980, le prénom Aliénor revient en force depuis les années 2000. Selon l’Insee, il était le 502e prénom attribué en France en 2015 et le 264e en 2021. Aliénor est entrée dans le Top 300 et l’aura de la duchesse et reine n’y est pas étrangère. Mais Aliénor inspire au-delà les berceaux. Rien qu’à Poitiers, on trouve le lycée Aliénor-d’Aquitaine, le Fonds Aliénor, à travers lequel le CHU soutient la recherche et l’innovation médicales, le Pôle Aliénor, établissement supérieur d’enseignement et de formation du spectacle vivant, ou à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine le réseau des musées (Aliénor.org). La liste n’est évidemment pas exhaustive et on ne compte plus les sociétés qui portent son prénom, 1 336 recensées sur Infogreffe (dont 34 dans la Vienne) dans des domaines aussi divers que l’immobilier, la gestion et comptabilité…

Une présence

Le Palais n’est pas le seul témoignage de la présence d’Aliénor à Poitiers.  La cathédrale Saint-Pierre, construite à l’initiative de l’évêque, abrite une représentation de la reine, vraisemblablement réalisée de son vivant. Sur le vitrail de la crucifixion, Aliénor apparaît « à la droite du Christ, la place la plus honorifique », assure Martin Aurell, aux côtés de son mari Henri II Plantagenêt et de ses quatre fils. On la voit aussi sur le vitrail du salon d’honneur de la mairie. Elle est aussi représentée sur une fresque dans une chapelle troglodyte de Sainte-Radegonde de Chinon et probablement dans un psautier de Fécamp (Normandie) de la fin du XIIe siècle. Enfin, elle a elle-même commandité son gisant, visible à l’abbaye de Fontevraud. Une rue de Poitiers porte également son nom, davantage « une ruelle » s’étonne Martin Aurell, qui imagine volontiers la reine allant se recueillir à Sainte-Radegonde ou à Notre-Dame-la-Grande. 

 

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