
Aujourd'hui
Le cabinet médical de son père, rhumatologue, était installé en face de la bibliothèque, rue Gaudeau-Lerpinière. Denis Coubronne se souvient y avoir usé des heures entières, les yeux dans les livres, l’imagination vagabonde. « La littérature m’a beaucoup aidé à rêver », confie le Châtelleraudais d’origine. Ou presque. Ses trois premières années passées à Creil (Oise) ne comptent pas vraiment. Il les balaie d’un revers de manche, convoquant avec plaisir ses souvenirs de Châtellerault, les tours à bicyclette, les balades en forêt, la ferme proche où il allait chercher « un lait crémeux et chaud », le collège Descartes, le lycée Berthelot, les compétitions de tennis à La Nautique… « Je n’ai que de bons souvenirs de Châtellerault, une ville à taille humaine, rassurante. » Son bac en poche, il l’a pourtant quittée, convaincu consciemment ou non de pas vouloir la vie de son père, bien trop « routinier » à son goût. Direction Paris d’abord, puis Lisbonne, New-York, Genève, Lisbonne à nouveau et bientôt Madère, d’où est originaire sa femme. A 60 ans, le cadet d’une fratrie de trois enfants a déjà passé la moitié de sa vie hors de l’Hexagone.
« A 8 ans, mon héros était Tintin, confie-t-il. J’ai toujours eu envie de vivre à l’étranger. » Surtout, ne pas devenir médecin. « Ni mes frère et sœur ni moi n’avons fait médecine. A ce titre nous avons interrompu, du côté de ma mère, une lignée de médecins depuis 1800 et quelques. » Sans regret. « J’aimais les langues et l’idée de voyager. J’étais bon dans les Humanités, suffisamment nul en maths pour ne pas devenir ingénieur mais pas assez pour ne pas faire commerce. » Le voilà donc chez les jésuites, à Sainte-Geneviève à Versailles, en prépa commerce. Un souvenir sur lequel il ne s’attarde pas, pas davantage d’ailleurs que sur les cours de finances, comptabilité et autres de l’Essec.
Logiquement, à l’heure du service militaire, le jeune homme déjà épris d’indépendance a choisi la Coopération du service national à l’étranger. Heureux hasard administratif, « un fonctionnaire quelconque m’a envoyé à l’ambassade de France à Lisbonne, dans un service culturel. C’est là que j’ai rencontré ma femme ». Un an et demi plus tard, il entrait chez Kronenbourg, propriété de Danone, alors BSN. « On était juste après 1986 et l’entrée du Portugal dans l’Union européenne, les barrières douanières étaient tombées. Un an plus tard j’étais invité à retourner en France… » Sa future femme était encore étudiante en droit, la raison l’a emporté. Pendant cinq ans, Denis a fait ses armes sur les marchés de Scandinavie, de Finlande, de Russie et des Pays de l’Est. Quand sa moitié a décroché un poste d’avocate à la mairie de Lisbonne, il a, à 30 ans tout ronds, remis le cap vers la ville aux sept collines où le producteur de vins Caves Aliança lui a ouvert les portes de son équipe marketing, au poste de chef de produits importés d’abord, de directeur au terme de sept ans. Sous son mandat, l’entreprise a plus que quadruplé son chiffre d’affaires. Denis avait de toute évidence trouvé commerce à son goût. « Les vins et spiritueux sont un domaine chaleureux. Toutes les boissons racontent une histoire, ce qui rejoint ma nature de lecteur et d’écrivain. Les détergents, les avions ou les roulements à billes m’aurait moins intéressé… » Sourire. Denis Coubronne n’aime rien moins que subir des choix qui ne sont pas les siens. « Le sacrifice n’est pas mon fort », confesse-t-il. L’ennui pas davantage semble-t-il. Poussé par « l’envie de voir autre chose », il a accepté en 2008 de devenir directeur commercial de Bacardi à Genève puis, quelques années plus tard, a rebondi dans une société d’importation et de distribution de vins à Newark, New Jersey, sur la côte Est des Etats-Unis. Le changement de culture, de mentalités, de façon de travailler s’est avéré radical, et New-York « fascinante ». Le fan de littérature et de films américains a goûté à la diversité d’un pays mosaïque et s’est abreuvé de la vie culturelle de la Big Apple, son Metropolitan Opéra, ses théâtres, ses ballets… Et ses saisons « très marquées ». Inlassable marcheur, le businessman a aussi écumé les parcs régionaux magnifiés par l’automne.
Depuis un an, Denis est de retour sur le vieux continent, à Lisbonne, son port d’attache mais aussi d’un départ imminent vers l’île de Madère. « La vie est une suite d’expériences », glisse ce « Français du monde », curieux de voir ce qu’elle lui réserve.
Sur l’île aux fleurs, le désormais consultant -dans les vins et spiritueux évidemment !- pourra écrire, encore et toujours. Son personnage, l’inspecteur Pereira, a déjà trois aventures publiées (Carton rouge à Porto, Les Brumes de Lisbonne, Le Shérif et les rabbins) et quelques autres dans des tiroirs. « J’ai écrit tout au long de ma vie », confie Denis, alias Peter Brooklyn, son pseudo made in America. L’inspecteur Pereira a souvent calé ses pas dans ceux de son créateur. Qui sait ? Peut-être mènera-t-il bientôt l’enquête à Madère.
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